Adieu, veau, vache... ?
Défendons notre bifteck !
Entendons-nous bien. En dépit de ce titre... saignant, il n'entre nullement dans nos intentions d'emboîter le pas aux pourfendeurs professionnels de la semelle anglaise. Aurait-il quelque penchant à tailler là-dessus une bavette, le titulaire de la présente rubrique n'a pas vocation à se pencher sur d'autres vacheries que celles de notre langue ! Mais à tant faire que de chanter, avec notre ministre de l'Agriculture, les louanges de la désormais célèbre « viande française », mieux vaut s'assurer que les paroles sont écrites en bon français : à quoi servirait de bouter le cheptel britannique hors de France si c'était pour fermer les yeux sur une autre forme de contagion, linguistique celle-là, mais tout aussi propre à ramollir les cerveaux de l'Hexagone ? Profitons donc de l'occurrence pour rappeler que, de ce côté-ci de la Manche, l'on écrit bien bifteck et non beefsteak, rosbif et non roastbeef. Sans parler des aberrations chromosomiques que constituent certaines formes carrément hybrides, telles que beefsteck ! La francisation, pourtant, ne date pas d'hier (Alain Rey la fait remonter tout au début du XIXe siècle) mais force est d'avouer qu'elle ne s'est jamais vraiment imposée, malgré les efforts méritoires de quelques illustres jusqu'au-boutistes (Marcel Aymé ne brûla-t-il pas les étapes avec biftèque ?) Le retour en force, depuis 1911, de steak, anglicisme omniprésent dans le domaine de la restauration, utile même quand il est question d'une autre viande que du bœuf — parler d'un bifteck de cheval, c'est courir le risque de rendre un peu plus fragiles encore les barrières entre les espèces ! — n'a pas arrangé les choses. On le voit : s'il n'est guère aisé de se prémunir contre les bovins du Royaume-Uni, il est autrement difficile d'établir un cordon sanitaire autour des mots. À moins que M. Douste-Blazy, notre ministre de la Culture, ne se décide à lancer à son tour son logo : V.F. comme... vocabulaire français ?