Par quel bout prendre le radar ?

D'autodrome en palindrome

< mardi 2 décembre 2003 >
Chronique

Si, par les temps qui courent (déjà moins vite si l'on en croit les statistiques un brin triomphalistes du ministère de l'Intérieur), nous ne redoutions pas de passer pour un provocateur, nous écririons qu'il n'y a pas photo : sur le zinc du café du Commerce, le radar écrabouille la concurrence. Depuis que les pouvoirs publics, pour éviter que nos autoroutes ne se muent en autodromes, en ont fait le voleur de grand chemin des temps modernes — après « la bourse ou la vie », « la bourse et le permis » —, il n'est plus question que de ses flash(e)s, intempestifs toujours, contre-productifs à l'occasion : n'ont-ils pas eu pour effet de doper certains tracteurs, jusqu'ici à la remorque ? Dans ce contexte ô combien polémique, le chroniqueur du langage n'a d'autre ambition que de faire œuvre utile en posant sur le sujet un regard plus ludique. Quand il y aurait peu de chances pour que ce type de révélation déridât l'infortuné que l'on déleste de ses quatre-vingt-dix euros, s'est-on avisé que, non content d'être un acronyme (RAdio Detecting And Ranging), ledit radar est un des rares palindromes que compte notre lexique ? Entendez par là qu'il fait partie de cette poignée de privilégiés susceptibles d'être lus de droite à gauche aussi bien que de gauche à droite. Côté noms propres, après l'inévitable clin d'œil à Ève, à qui forcément tout remonte, on cite surtout la bonne ville de Laval, patrie d'Alfred Jarry et de son célèbre père... Ubu — les chiens ne font pas des chats ! Mais Noyon et Sées, dans l'Orne, ne sont généralement pas bien loin. Côté noms communs, on évoquera l'adverbe ici, les substantifs rotor et kayak, le verbe ressasser. Cela dit, et depuis l'Antiquité, des intrépides, refusant de s'en tenir à ce qui existait, se sont essayés à construire des phrases, toujours plus longues, qui pussent aussi se lire dans les deux sens. Qui ne connaît « élu par cette crapule ! », « Ésope reste ici et se repose », « Noël a trop par rapport à Léon », et surtout le pittoresque « Tu l'as trop écrasé, César, ce port-salut ! » ? L'inimitable Georges Perec, qui s'était illustré dans le lipogramme en rédigeant un livre de trois cents pages sans jamais recourir à la lettre e, a même composé un palindrome géant de quelque cinq mille mots ! Saluons ici la performance, et souhaitons qu'elle distraie un instant tous ceux qui, ensevelis sous les P.-V., désespèrent un peu vite de... joindre les deux bouts !