De la dictée et de ses effets pervers

L'exception et la règle

< mardi 18 novembre 2003 >
Chronique

S'il est quelqu'un dont on peut être sûr qu'il ne crachera jamais dans la soupe, c'est bien l'auteur de ces lignes. Partant, on devrait lui prêter foi quand il écrit que le pire service que l'on puisse rendre à la dictée de Pivot serait de vouloir l'investir d'une mission sacrée. Il est crucial qu'elle reste un jeu, faute de quoi des esprits malintentionnés auraient tôt fait de la retourner contre une langue qu'elle est censée servir... La raison de ce léger coup de blues ? La large part faite à l'arbitraire dans la dictée de ce samedi. Pourquoi les marins pêcheurs n'ont-ils pas droit au trait d'union alors qu'on l'impose aux analystes-programmeurs ? Pourquoi est-on tenu d'en mettre un à feuille-morte puisque d'autres couleurs, à l'instar de fraise écrasée, s'en dispensent ? Pourquoi l'abréviation fluo est-elle invariable quand d'autres, plus... sympas, prennent la marque du pluriel ? Autant de questions devant lesquelles les consultants du jour — la présidente du jury, Michèle Balembois, comme votre serviteur — n'ont pu que confesser leur perplexité. Le risque, dès lors, n'est-il pas grand que le « Français lambda » de Micheline Sommant voie dans notre langue un repaire d'incohérences sans justification aucune ? Qu'il se tourne, dans la foulée, vers d'autres idiomes qui, pour receler autant sinon plus d'incongruités que le nôtre, en souffrent d'autant moins qu'ils n'ont jamais prétendu, eux, à cette rigueur dont s'enorgueillit le français ? Non sans raison, du reste, car les anomalies susdites sont bien moins nombreuses que d'aucuns font mine de le croire : il ne s'agit là que d'arbres qui cachent la forêt. Sied-il alors de condamner une dictée qui les laisse croître en futaie ? Voilà qui reviendrait à blâmer le dictionnaire médical, sous prétexte qu'à l'article céphalée il consacre cinq fois plus de place à la tumeur intracrânienne qu'à la simple et plus probable tension nerveuse ; ou encore la presse chaque fois qu'elle s'attarde sur la dernière catastrophe aérienne au lieu d'insister sur les milliers de vols qui se passent chaque jour sans encombre... En matière de compétition orthographique, les exceptions ne se bornent pas à la confirmer, elles sont la règle : pas plus que l'on ne départage des perchistes de haut niveau en mettant la barre à quatre mètres, on ne surprendra des candidats chevronnés avec un accord de participe ! Il ne faut donc pas s'indigner d'une fuite en avant que chacun, dès l'origine, savait inscrite dans la nature même du jeu. Mais rappeler que ces entorses à la logique ne sont pas représentatives de l'essentiel de la langue.