Avec sa « discrimination positive »...

Sarko est-il un pousse-au-crime ?

< mardi 16 décembre 2003 >
Chronique

Gageons que le concept en aura surpris plus d'un. Que, sur la lancée du « racolage passif » dont nous fîmes, l'été caniculaire dernier, des gorges naturellement chaudes, nombre de nos lecteurs auront même été tentés de voir, dans cette « discrimination positive » récemment remise à l'honneur par le ministre de l'Intérieur, un de ces oxymores qui, pour retenir l'attention, s'ingénient à marier des termes a priori incompatibles : qui ne se souvient de l'« obscure clarté » qu'inventa, pour son Cid, un certain Pierre Corneille ? Eh bien, non ! Les étymologistes sont formels : le terme de discrimination ne traduit rien d'autre, à l'origine, qu'une distinction entre des groupes d'individus. Et ce n'est pas parce que, jusqu'ici, cette distinction s'est presque toujours faite au détriment d'une minorité ethnique (ou d'une catégorie dont Coluche aurait dit qu'elle est « moins égale que les autres ») que ledit terme doit, ad vitam æternam, être pris en mauvaise part. Ainsi, c'est à bon droit que le Petit Robert, citant notre confrère Le Monde, fait au contraire état d'« une action visant à favoriser certains groupes sous-représentés afin de corriger les inégalités ». La parité hommes-femmes au sein des partis politiques, faut-il le rappeler, c'était déjà de la discrimination positive ! Cela dit, il ne sera pas facile de bousculer les habitudes linguistiques, et demain n'est pas la veille du jour où l'on entendra un préfet musulman déclarer, pour justifier sa nomination, qu'il a « bénéficié d'une mesure discriminatoire » : l'adjectif semble pour sa part promis, et pour longtemps, à une connotation strictement péjorative... Reste à savoir, sur le versant proprement politique de l'affaire, comment s'y prendront les conseillers en philologie de Jacques Chirac pour rassurer un président qui, c'est à craindre, aura surtout retenu de cette discrimination-là le crime... de lèse-majesté. Lui expliqueront-ils, avec toute l'objectivité voulue, que le crimen latin n'avait à ses débuts rien que de très pacifique ? Issu du verbe cernere, lequel signifiait au sens propre « passer au crible, trier », et de là « discerner, décider », ce n'est que sous la pression du sens spécialisé de « décision judiciaire » qu'il a fini par désigner le « crime » que nous connaissons aujourd'hui. Mais se donnera-t-on la peine d'une telle leçon ? Ne laissera-t-on pas croire au chef de l'État ce qu'il a sans doute, avec ou sans appareil, envie d'entendre ? À savoir que ce Nicolas-là est décidément un... pousse-au-crime ? Les paris sont ouverts !