À la fortune du Moët
Puisque bon nombre de nos lecteurs sont occupés à coincer la bulle sur le sable, profitons-en pour traiter une fois pour toutes une question qui met en effervescence quiconque se pique de bien parler : le champagne doit-il se sabler ou se sabrer ?
Disons-le tout net : quand elle trouverait grâce aux yeux de Larousse, la seconde version, déformation de la première, ne se justifie que pour ceux qui, à la cosaque, mettent un point d'honneur à décapiter la champenoise au coupe-chou. Est-il besoin de préciser ici qu'ils ne constituent pas, et c'est heureux pour l'entourage, une majorité ? Mieux vaut donc s'en tenir au « sablage », que Voltaire en personne cautionne à maintes reprises. Quel rapport, nous direz-vous pourtant, avec la roteuse ? Loin de nous l'intention de nous faire mousser, mais les explications ne manquent pas, toutes plus pétillantes les unes que les autres. D'abord le sable a la propriété d'absorber facilement les liquides. Voilà qui, à n'en pas douter, parle à l'imagination de ceux qui ne reculent pas devant la perspective de faire cul sec ! Ensuite, il faut probablement voir dans ce tour une allusion plus précise au geste rapide du fondeur qui coulait en une seule fois, dans un moule de sable, le métal en fusion : au dire d'Alain Rey, jeter en sable a autrefois signifié, au figuré, « boire d'un trait un verre d'alcool ». Enfin, comment ne pas mentionner, à la suite de Littré, cette coutume des Lumières, laquelle consistait, une fois que l'on avait soufflé dans le verre vide afin de l'embuer, à en couvrir les parois d'une fine couche de sucre ? Ce « sablage »-là aurait eu pour effet de rendre le breuvage plus mousseux... Au demeurant, faut-il à tout prix chercher à accorder les flûtes ? Chacun sait que les sables de l'étymologie sont mouvants. C'est pourquoi on s'y laisse prendre !