À la fortune du mot

< mardi 5 avril 2005 >
Complément

La leçon de Tchernobyl aurait-elle finalement porté ? En tout cas, plus personne aujourd'hui ne songe à nous dissimuler les nuages qui s'amoncellent sur la Constitution européenne. Pour les dissiper, les plus inquiets nous renvoient même, avec l'énergie du désespoir, au texte du traité, à les entendre unique rempart contre les extrapolations tendancieuses de tout poil. C'est là faire bon marché des aléas de la traduction, ce que nous rappelle, avec sa malice coutumière, notre confrère Le Canard enchaîné. En effet, là où Allemands et Français semblent avoir compris qu'il suffira, pour que certains textes soient adoptés, qu'ils reçoivent l'approbation du Parlement ou du Conseil (« Le règlement européen délégué ne peut entrer en vigueur que si (...) le Parlement européen ou le Conseil n'exprime pas d'objections » – et non pas « si le Parlement et le Conseil n'expriment pas d'objections »), Anglais et Espagnols veulent croire, de leur côté, que l'un et l'autre devront donner leur aval, le règlement susdit ne pouvant selon leur version « entrer en vigueur si le Parlement ou le Conseil exprime des objections ». Telles sont les deux lectures, pour le moins divergentes, qui sont proposées de l'article I-36, relatif aux « règlements européens délégués » appelés à modifier certains éléments de la loi européenne. On le voit, l'avenir et surtout la cohésion d'une Europe à vingt-cinq (en attendant mieux) dépendent plus que jamais de la compétence et de la subtilité de ses traducteurs ! À moins que l'objectif plus ou moins avoué ne soit de faire de la Communauté sans cesse élargie une auberge espagnole, où chacun apporterait son manger... et sa vision des choses. Si tel devait être le cas, et avant même que l'on y fût entré, on n'en serait pas sorti !