Tours pendables

< mardi 18 mai 2004 >
Complément

Il fallait s'y attendre : la féminisation des noms de métiers, hier réclamée à cor et à cri par le gouvernement Jospin, et depuis lors mise en œuvre, à marches forcées, par nos lexicographes (voir notre second complément), complique notre langue beaucoup plus qu'elle ne la simplifie. En témoigne cette phrase, relevée il y a peu dans votre quotidien préféré, et qui en aura plongé plus d'un dans des abîmes de perplexité : « Ces propos ont été confirmés par l'une des sept militaires américains accusés de sévices. » On comprend ce qui, pour le sens, a motivé cet accord bizarroïde. Il est ici question d'une femme parmi des hommes et, militaire faisant désormais partie, comme ministre, des substantifs épicènes (entendez par là qu'il a les deux genres), on a voulu le faire sentir. Passons rapidement sur le fait qu'une mesure destinée à souligner l'ascension sociale du beau sexe se retourne dans ce cas précis contre ses auteurs : ce qui saute surtout aux yeux ici, c'est que, si la femme est devenue l'égale de l'homme, c'est au point de lui emprunter ses vilaines manières ! Sur le plan grammatical, quoi qu'il en soit, la situation est intenable : un mot (militaire) ne peut, au sein d'une même tournure, être à la fois féminin (une) et masculin (américains accusés) ! De tels imbroglios ne se produisaient naguère qu'avec une poignée de vocables (les fameux amour, délice et orgue) qui changeaient de genre en même temps que de nombre. Grevisse conseillait alors d'« éviter la disparate » et d'écrire, en oubliant qu'amour est normalement du féminin au pluriel : « le plus beau de tous les amours ». Reste à savoir si nos féministes, pour préserver ce qu'il reste à notre langue de cohérence grammaticale, sont prêt(e)s à mettre... leur sexe dans leur poche !