Hier tribut à l'État, aujourd'hui à la barbarie

Exactions en tous genres

< mardi 18 mai 2004 >
Chronique

Cela va sans dire, nous aurions préféré que l'actualité ne nous fournît jamais l'occasion de traiter des exactions. Mais le moyen, cette semaine, de lui tourner le dos sans que cela s'apparente à une fuite ? Quand, en pareille circonstance, la vanité de nos préoccupations linguistiques nous échapperait moins qu'à quiconque ; quand nous rougirions presque de nous cramponner à nos dogmes mesquins dans un monde qui semble ne plus admettre ni foi ni loi ; quand, en regard de ceux que subissent les hommes, nous trouverions soudain dérisoires les mauvais traitements que l'on inflige à la langue, il nous faudrait persévérer, contre vents nauséabonds et marées de sang. Le langage n'est-il pas, tout bien pesé, ce que l'humain a su inventer de mieux pour s'élever, si peu que ce soit, au-dessus de l'animalité ? « Exactions », donc. Pour les tristes raisons que l'on sait, le terme s'étale aujourd'hui à la une de tous les journaux. Il était pourtant, hier encore, voué à l'index. Pas un grammairien qui ne criât casse-cou, à l'instar de Jean Girodet : « Attention au sens abusif de violence, pillage, vexations, brutalités, crimes ! » C'est que la seule acception reconnue jusqu'alors était celle d'une extorsion de fonds. Encore s'agissait-il déjà là d'une extension de la signification première, le latin exactio s'étant à l'origine appliqué à un tribut, à un « recouvrement d'impôts », des plus légaux ceux-là ! Est-ce parce que le contribuable, de la Rome antique à nos jours, ne s'est jamais départi de l'impression qu'on lui en demandait trop ? Toujours est-il que très vite, dès le XIVe siècle, le sens s'est déplacé vers l'« abus de pouvoir des représentants d'une autorité qui exigent plus qu'il n'est dû, voire exigent ce qui n'est pas dû » ! C'est donc, on le voit, au prix d'une nouvelle... exaction (n'a-t-on pas tendance à faire dire aux mots plus qu'ils ne signifient réellement ?) que le terme s'est affranchi de son carcan pécuniaire. Il n'empêche que, stricto sensu, l'un des derniers à pouvoir être taxé d'exactions est l'actuel patron de Bercy, Nicolas Sarkozy ! Il n'est d'ailleurs pas sûr que Jacques Chirac, qui aurait très mal pris le récent numéro de l'intéressé à la tribune de l'UMP, s'en tienne à la première version du vocable. Surtout si une bonne âme férue d'étymologie explique au chef de l'État qu'en latin exactio est né de ex agere, littéralement... « pousser dehors » !