Si Pivot est tombé par terre...
C'est la faute à Flaubert !
On n'est jamais trahi que par les siens ! C'est ce qu'a dû se dire Bernard Pivot en ouvrant le Figaro du 21 janvier dernier. Un article ne l'accuse-t-il pas, ce jour-là, d'avoir commis une faute de grammaire dans sa « dictée de l'Opéra » ? La charge est signée Jean-Marie Zemb, professeur honoraire au Collège de France, et vise le membre de phrase « ils s'étaient abordés, plu, séduits... ». Le se des verbes aborder et séduire n'ayant pas la même fonction que celui du verbe plaire — le premier est complément d'objet direct (on s'aborde, on se séduit l'un l'autre), le second complément d'objet indirect (on se plaît l'un à l'autre) —, la syntaxe obligeait ici à répéter le pronom : « ils s'étaient abordés, ils s'étaient plu, ils s'étaient séduits ». Et notre plaignant de vanter « l'éminente logique de notre langue », qui « ne permet pas de mélanger serviettes et torchons... » Loin de nous l'idée de contester le bien-fondé de la démonstration, à laquelle l'ouvrage de référence des Dicos d'or, le Dictionnaire des difficultés de la langue française d'Adolphe Thomas, souscrit sans réserve. Page 340, du moins. Car que lit-on, à la page 305 du même livre ? Une phrase que rien ne présente comme fautive, alors qu'elle ne doit pas grand-chose à celle de Pivot : « Que d'hommes se sont craints, déplu, détestés, haïs, menti, trompés, nui ! » Si Thomas se met à transgresser ses propres lois, où va-t-on ? Quant à « l'éminente logique » dont se félicite M. Zemb, force est d'avouer qu'elle s'est fait attendre, la langue classique (celle-là même dont la pureté nous est sans cesse citée en exemple) se souciant comme d'une guigne de distinguer les serviettes des torchons. Voilà en effet une règle que, pour d'évidentes raisons stylistiques (la répétition du pronom, si elle satisfait le grammairien, n'est pas exempte de lourdeur), n'ont que peu respectée Molière, Rousseau, Balzac et autres gloires de notre littérature. Interdira-t-on à Pivot ce que l'on passe à Flaubert, le plus puriste de nos écrivains, lequel écrit dans Un cœur simple : « Elle le trouva dans sa cuisine, où il s'était introduit, et accommodé une vinaigrette » ?