Dans la langue aussi,
le « en même temps » fait son œuvre...
En a-t-on écrit, sur l’expression fétiche qui aura présidé aux deux mandats du chef de l’État ! Parfois pour se féliciter du souci d’ouverture dont elle témoigne, souvent pour y voir une incapacité à trancher…
Depuis dimanche dernier, on sait que l’œcuménisme qu’elle est censée traduire n’a pas pour vocation de s’arrêter à la frontière du politique : elle touche tout autant au domaine qui nous est cher, à savoir celui de la langue française ! Voilà en effet que, d’un coup d’un seul, le locataire de l’Élysée est parvenu à réconcilier deux termes que votre serviteur (sans pour autant être toujours entendu) présentait jusqu’ici comme inconciliables, s’agît-il de deux formes de participe passé du même verbe, à savoir dissoudre.
Combien de fois en effet ne s’est-on pas offusqué, jusques et y compris dans ces colonnes, que l’on pût impunément confondre dissous et dissolu ? Au premier le sens propre du verbe, à savoir « décomposer un organisme par la séparation de ses parties », au second une dimension plus morale, qui évoque abus et dérèglements.
Et voilà qu'Emmanuel Macron est parvenu, dans le bref intervalle qui a séparé l’annonce des résultats des élections européennes de son apparition, empreinte de gravité, aux étranges lucarnes, à faire de cette Assemblée dissolue une Assemblée dissoute ! De cet hémicycle chahuteur et dévergondé, dont plus d’un a dénoncé, ces derniers mois, les frasques inconvenantes, une Chambre fantôme qui s’est évanouie dans la nuit de la Ve République. Il y a gros à parier que ce rapprochement inédit fera jurisprudence, et que bientôt on se contentera d’un seul et même mot pour les deux acceptions. Chapeau, l’artiste !
Qui ne verrait en effet que tous les qualificatifs plus ou moins heureux dont les commentateurs de l’actualité ont cru bon, cette semaine, d’affubler le président (« apprenti sorcier », « pompier pyromane », « joueur de poker », un député a même osé le traiter de « taré » quand « fondu » eût été moins irrespectueux et autrement approprié à l’image de la dissolution) restent très en dessous de la réalité ? C’est de « magicien » qu’il convenait plutôt d’user, tant il est difficile, l’auteur de ces lignes pourrait aisément en témoigner, de faire bouger les choses au royaume des mots. C’est à l’Académie que, demain, sera sa place ! Là où il y a tant d’autres tables à renverser…