Pourquoi dire d'une seule
ce que l'on peut dire
de deux façons différentes ?

< dimanche 14 avril 2024 >
Chronique

En matière de langue française, la vérité du dimanche n’est pas forcément celle du suivant ! Témoin la réflexion que nous a inspirée la récente programmation, aux étranges lucarnes, d’Ôtez-moi d’un doute…

Le titre de cet excellent film de Carine Tardieu n’aura déconcerté personne. Au reste, qui n’a jamais usé du tour en question, depuis qu’il a fait les beaux jours du Cid de Corneille ? Il n’en est pas moins la preuve vivante que notre grammaire sait à l’occasion se faire bonne fille, en nous offrant deux manières, non seulement différentes mais diamétralement opposées… d’exprimer la même idée !

Dans l’immense majorité des cas, et aujourd’hui plus qu’hier encore, le verbe ôter a pour complément d’objet direct quelque chose que l’on enlève à quelqu’un, qu’il s’agisse d’un manteau, de ses illusions, voire de sa vie. Rien n’aurait donc été plus naturel de penser, de même que l’on ôte ses chaînes à un prisonnier et l’envie de recommencer à un délinquant (mais ça, c’était avant !), que l’on ôterait le doute plutôt que la personne qui s’y abandonne. S’étonnerait-on d’apprendre qu’un malheureux qui se tord de douleur supplie son entourage de lui ôter l’appendice ?

Or, que se passe-t-il dans cette expression qui sert de titre à notre film et qu’a consacrée l’usage depuis des lustres ? le COD n’y est plus, comme cela semblait aller de soi, ce que l’on enlève (le doute ou l’appendice) mais ce qui (en général) survit à l’opération (le douteur ou l’opéré). Étonnant, non ? Et surtout de nature à nous faire… douter que le français soit vraiment cette langue cartésienne que nous voulons voir en elle.

C’est que, certains dictionnaires s’en souviennent, le verbe ôter a aussi signifié « délivrer quelqu’un d’une situation désagréable » ou « le faire partir du lieu où il se trouve ». Dans ce cas, ce n’est plus tant le doute qui se trouve dans l’homme que l’homme qui est dans le doute. Le malicieux Dussollier du film Tais-toi ! se plairait sans doute à ajouter : « C’est vous dire la taille du doute ! » Et qui niera qu’à l’occasion on n’hésite pas davantage, fût-ce des plus familièrement, à chasser un fâcheux d’un sans appel « Ôte-toi de là que je m’y mette » ?

(Vous aurez remarqué qu’un peu plus haut nous n’avons pas écrit « de lui ôter… l’appendicite ». C’eût été là nous renvoyer, de façon ô combien inopportune, à la « poignée de main serrée » de la semaine dernière !)