Pour peu que vous recouriez
à l'injonction,
construisez-la bien !
Quand la chose ne manquerait pas d’étonner en ces jours où l’autorité s’effondre, le verbe enjoindre est plus que jamais à la mode : il fait notamment florès dans les colonnes de la presse écrite, que l’on en juge…
L’Express : « Ban Ki-moon en Grèce pour enjoindre le monde à mieux traiter les migrants » ; Le Figaro : « Un rapport enjoint la mairie de Paris à faire d’importants efforts financiers » ; Le Journal du dimanche : « Gérald Darmanin enjoint les Français à ne pas sortir » ; Libération : « La haute instance administrative enjoint Paris à abandonner l’appel à idées qui veut confier au privé la construction de trois franchissements de la Seine » ; La Montagne : « Élisabeth Borne enjoint les entreprises à plus de sobriété énergétique » ; Ouest-France : « La maire de Paris a enjoint le Comité international olympique à s’aligner sur sa position » ; Le Parisien : « Le gouvernement enjoint les fraudeurs à se mettre en règle ».
Il n’est pas sûr que cela vous crève les yeux, mais toutes ces phrases insultent la grammaire, pour une seule et unique raison : si enjoindre signifie bien « sommer », « mettre en demeure », il ne se construit pas comme ces derniers. Le COD ne saurait jamais être, en effet, la personne ou l’organisme qui reçoit l’injonction, mais la teneur de celle-ci. En d’autres termes, on enjoint « quelque chose à quelqu’un », on n’enjoint jamais « quelqu’un à faire quelque chose » ! Il serait préférable, au moment de construire sa phrase, de s’aligner sur des synonymes comme « ordonner » ou « imposer ». Dans une version certes relâchée, mais grammaticalement correcte, le président du Sénat « enjoindrait alors à Jean-Luc Mélenchon de fermer sa gueule »…
À y bien réfléchir — et parce que les mêmes causes, en grammaire, ne produisent que trop souvent les mêmes effets —, c’est d’un mal comparable, ressortît-il au mécanisme inverse, que souffre l’infortuné verbe pallier : la définition qu’en donne le Petit Larousse étant « remédier à », on a tendance à le construire de la même façon que ce dernier, en palliant « à une difficulté », ce qui est incorrect. Pour… pallier « ce mauvais réflexe », mieux vaudrait cette fois s’en remettre aux synonymes proposés par Robert : « atténuer faute de remède véritable » ou « résoudre d’une manière provisoire ». Ou encore, d’une façon plus générale, se souvenir qu’une définition a toujours une vocation plus sémantique que grammaticale !