Quelle dinguerie, non,
cette course effrénée au superlatif ?
Au royaume toujours couru de la familiarité, on se contentait généralement, jusqu’ici, de trouver « dingue » ce qui était un peu fou, déjanté, voire carrément loufoque. Non sans excès à l’occasion, il est vrai…
C’est ainsi que Camille Combal s’était laissé aller, l’année dernière, à lâcher le mot plus de dix fois dans une seule édition de Danse avec les stars : « soirée dingue », « début complètement dingue », « niveau de plus en plus dingue », « face-à-face de dingues », etc. C’est simple : on se serait cru à Pâques en octobre…
Un nouveau cap a été franchi, ces derniers mois, par la « dinguerie », laquelle s’impatronise dans le discours de plus d’un animateur de télévision, avec, cette fois, Yoann Riou en chef de file. Mais si cet exemple ne surprend guère (le drôle a fait un stage dans l’émission susdite), celui du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, étonnera davantage : n’a-t-il pas récemment déclaré sur France Inter : « L’autorisation du glyphosate sans limites pendant dix ans est une dinguerie » ?
Quand ce ne serait sans doute pas la préoccupation première d’une macronie moins soucieuse de donner un sens plus pur aux mots de la tribu (Mallarmé, si tu nous lis !) que de parler « djeun », force est d’avouer qu’ici au moins on reste fidèle au sens qu’en donnent les dictionnaires (eux aussi s’y sont mis) : « folie ». Le mot s’est déjà affranchi, en effet, de ce purisme-là, au point de désigner désormais tout ce qui sort de l’ordinaire.
Las ! il en va ainsi de tout superlatif. On commence par user jusqu’à la corde ce que la langue nous offre pour meubler nos dithyrambes, qu’il s’agisse de qualificatifs (colossal, gigantesque, énorme) ou de préfixes (super, hyper, giga)… pour s’apercevoir bientôt que cette inflation verbale est contre-productive, les mots se vidant de leur sens aussi vite que le tonneau des Danaïdes de son eau. On retourne alors à la case départ, grand en disant finalement plus que grandiose. On va même, au mépris du sens, jusqu’à recruter dans le camp d’en face : pour peu que cet article vous plaise, vous ne direz plus qu’il est très bon, mais trop ! De même cette dinguerie, d’insensée qu’elle était, se dépouille de toute nuance péjorative pour s’appliquer à quelque chose d’incroyable. Les chefs ne nous ont-ils pas habitués à voir dans une pâtisserie d’exception une « tuerie » ? Par ces temps qui courent et poignardent, il fallait pourtant oser…