Entre le style académique
et le langage populaire,
il n'y a souvent qu'un... pas !

< dimanche 19 novembre 2023 >
Chronique

Il est des tournures qui, dans certaines bouches et certains lieux, étonnent et détonnent. Témoin ce « Je ne me suis pas défendu, au fond pour ne pas que mon ministère et mon action soient éclaboussés. »

Le contexte aidant, qui n’aura reconnu le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti ? Il est vrai que l’intéressé a en ce moment d’autres magistrats à fouetter (à commencer par l’ex-procureur général près la Cour de cassation, François Molins, qui l’accuse de prise illégale d’intérêts) que de sacrifier aux canons de la langue française ! En même temps (comme dirait celui qui l’a mis là où il est), quand on n’hésite pas à recadrer dans l’hémicycle une députée dont la langue a fourché (chacun se souvient de son malheureux « devra-t-être »), il faut s’attendre, tôt ou tard, à un retour de bâton…

Il n’est que trop vrai, pourtant, que ce pour ne pas que sied moins à un virtuose des prétoires qu’à l’usager lambda. L’Académie est à cet égard formelle : lorsque la subordonnée de but introduite par pour que est à la forme négative, la locution adverbiale ne… pas doit se trouver à l’intérieur de ladite subordonnée, et non se glisser entre le pour et le que ! On ne votera donc jamais une loi « pour ne pas que cela se reproduise », mais bien « pour que cela ne se reproduise pas  ».

Le tolérant Grevisse lui-même, après avoir constaté dans son Bon Usage que cette construction douteuse tendait à passer dans la langue écrite, épinglant au passage des plumes aussi respectées que le romancier Simenon et… l’académicien Orsenna, avoue qu’elle reste « mal accueillie, même par les observateurs non puristes ». Quant à son confrère Joseph Hanse, il conseille, sans ambages superflues, de la « laisser au langage populaire ». N’est-elle pas le fruit d’un alignement coupable sur le tour « pour ne pas + infinitif », lequel, lui, n’a rien que de très correct ?

Au reste, que ceux que cet article viendrait à inquiéter se rassurent : notre langue ne manque pas d’itinéraires Bis ! « Pour éviter que mon ministère et mon action ne soient éclaboussés » n’eût été ni plus obscur ni plus lourd. C’est peut-être aussi l’occasion de se rappeler que le français met à notre disposition d’autres locutions conjonctives, autrement propres à exprimer la négation : de peur que, de crainte que. « De peur que mon ministère et mon action ne soient éclaboussés » aurait aussi bien, et finalement mieux, fait l’affaire !