Le grand retour du « peuple »
autour des terrains

< dimanche 11 juin 2023 >
Chronique

Pour juger du devenir de la langue, le sport est l'un des meilleurs postes d'observation qui soient. Rien que de normal à cela : comme il évolue peu dans ses règles, la façon d'en rendre compte devient primordiale.

Ce qui frappe dans les commentaires récents, c'est le regain du peuple, quel que soit le sport concerné : football dans La Voix du Nord (« Quand le peuple sang et or regoûte à l'ivresse de 1998 »), rugby dans L'Union (« Le peuple rochelais en masse pour soutenir ses héros »), tennis dans Libération (« Sur les gradins, le peuple de Roland-Garros savait qu'il avait son rôle à jouer »). Preuve que le phénomène transcende les disciplines et qu'il faut prendre le terme dans son sens large : nul besoin d'être sociologue pour deviner que, socialement parlant, le peuple de la Trannin, à Bollaert, n'est pas exactement celui du court central !

Désir plus ou moins conscient d'élargir la base du soutien populaire en allant au-delà du cercle fermé des seuls « pratiquants » ? Sans doute. Il faut en tout cas que la motivation soit grande pour oublier la connotation péjorative qui, longtemps, a pesé sur le mot. C'est qu'il n'a pas toujours fait bon « faire peuple » : populo, populace et, plus que jamais, populisme pourraient aisément en témoigner ! Peut-être aussi (il n'est pas interdit de rêver) a-t-on voulu par là honorer l'étymologie, le latin populus ayant à l'origine renvoyé, de façon assez vague, à l'« ensemble des habitants d'un État constitué ou d'une ville ».

Ce n'est qu'ensuite qu'il connaîtra, au gré des régimes, des hauts et des bas. Surtout des bas par assimilation à la plèbe, constituée sous la Rome impériale de tous ceux qui ne jouissaient pas des privilèges de la noblesse, puis, dans la langue de l'Église, à une multitude qui n'incluait pas les clercs. Et quelques rares hauts durant la Révolution ou sous la plume mystique d'un Michelet.

Reste à savoir si ce nouvel avatar sera à ranger parmi les hauts ou les bas. On fait certes dans l'œcuménisme en n'excluant personne, mais le mot, qui jouait le plus souvent jusqu'ici dans la cour de la nation, n'en perd pas moins du galon. De surcroît, laisser croire que le « peuple marseillais » est distinct du « peuple lillois », même entre guillemets, n'est pas fait pour souder un pays : n'ayons garde d'élargir un peu plus une faille identitaire qui, à l'évidence, ne demande que ça !