Le mot qui est partout
mais qui n'existe... nulle part !

< dimanche 4 juin 2023 >
Chronique

Inutile d'aller vérifier dans les colonnes fraîchement repeintes des Petit Larousse et Petit Robert 2024, vous n'avez aucune chance de le trouver, et pour cause : c'est une invention pure et simple de l'usager.

Sur la Toile et dans les médias, en revanche, il fait florès. On y a relevé une « femme Balenciaga carapaçonnée de robe en latex » (Le Monde), une « quadragénaire en surpoids, comme carapaçonnée dans un gilet informe » (Ouest-France), une « distance carapaçonnée de certitude » (Libération), une « violence carapaçonnée qu'on capture au smartphone en lisière des cortèges » (Télérama), une « troupe armée, casquée et carapaçonnée » (Mediapart), un « hélicoptère carapaçonné de plaques de plomb » (Le Soir), un « ministre néerlandais carapaçonné contre les attaques et les problèmes » (La Libre Belgique), une « mode très pudique, voire carapaçonnée » (Le Temps), une « industrie française carapaçonnée dans les directives et règlements castrateurs » (Le Progrès), un « tatou à six bandes, petit animal trapu et carapaçonné du Brésil » (La Nouvelle République) et même (pour que vous ne nous reprochiez pas de ne balayer que devant la porte des autres) un « Ajaccio carapaçonné sur un bloc bas et très compact » (La Voix du Nord) !

L'explication ? Une malencontreuse interversion de lettres, de celles qui nous font dire « infractus » pour infarctus, « rénumérer » pour rémunérer, « omnibuler » pour obnubiler. Ce dernier rapprochement étant le plus pertinent, la carapace jouant ici le rôle de l'omnibus ! Le terme correct, le seul, le vrai, est caparaçonné, et il dérive du caparaçon, cette armure ou ce harnais d'ornement dont on équipe les chevaux, en particulier celui du picador.

Barbarisme donc, mais, à la décharge des (nombreux) contrevenants, il faut reconnaître que carapace et caparaçon sont très proches par le sens. Jusqu'à l'Académie qui ne s'insurge qu'à demi : « Ces deux mots sont aussi très proches par l'étymologie : carapace est emprunté de l’espagnol carapacho (…) ; caparaçon nous vient de l’espagnol caparazon, altération de carapazon, nom qui a la même origine préromane que carapace. On sera donc indulgent avec qui emploie les formes carapaçon et carapaçonner, mais on rappellera que seuls caparaçon et caparaçonner sont corrects. »

On espère que cette fois c'est noté, caramba !