Alors, décevant ou « déceptif »,
ce nouveau gouvernement ?

< dimanche 12 juillet 2020 >
Chronique

Un lecteur nous avoue s'être étranglé en entendant, sur le plateau de C dans l'air, un chroniqueur « user et abuser du barbare déceptif ». « Consternatif, non ? », conclut-il en jouant les Desproges.

De fait, nous avons vérifié, ledit chroniqueur a, en une minute trente à peine, réussi la passe de trois : « S'il (Emmanuel Macron, évidemment) nous sert quelque chose qui ressemble un peu à du réchauffé [...], ce sera déceptif » ; « Il y a un risque d'être déceptif en ayant mis la barre si haut » ; « Il ne peut pas être déceptif parce que ce remaniement [...] est la dernière station avant 2022 ».

C'est à se demander si notre lecteur — fidèle déclaré de cette rubrique — n'a pas, après nous avoir lu il y a trois semaines à propos du non moins contesté générer, voulu nous mettre en face de nos contradictions. Car, si déceptif passe clairement pour un anglicisme (Larousse comme Robert, pour lui avoir ouvert leurs colonnes, ne s'en cachent nullement), il a, lui aussi, existé en français il y a plusieurs siècles. Pourquoi, dès lors, accabler celui-ci de ce que nous pardonnons à celui-là ?

Pour deux raisons au moins. D'abord, si déceptif était effectivement un habitué de nos textes médiévaux, c'était moins pour exprimer une déception qu'une tromperie (que l'on songe au sens de l'anglais to deceive). Ensuite, il ne nous semble pas que, dans chacune des citations ci-dessus, déceptif apporte quoi que ce soit que ne puisse fournir la famille de notre décevoir : « ce sera décevant », « il y a un risque de décevoir », « il ne peut pas décevoir » n'en auraient pas moins dit, et l'auraient dit de façon plus simple et plus claire !

Il est donc à craindre que notre pilier des plateaux de télévision n'ait cédé là au péché — pas si mignon — de ceux dont le métier est de parler et de parler encore pour dire et redire ce qui n'a été, depuis que l'information est en continu, que trop entendu. Grande est en effet la tentation, quand le fond le permet de plus en plus rarement, de chercher à se renouveler dans la forme. C'est que le « déceptif » est au décevant ce que la « bravitude », chez Ségolène Royal, était à la bravoure : un mot qui claque, réveille, et donne au routinier l'improbable cachet de l'inédit. Et comme le -tif est à la mode sous Macron (qui ne se souvient du disruptif ?), on s'en voudrait de couper les cheveux en quatre !