La galanterie a ses raisons
que la syntaxe ne connaît pas !
Parce qu'il n'y a pas que le diable pour se cacher dans les détails, l'oreille du chroniqueur de langue s'arrête volontiers à des broutilles qui, quand elles ne retiendraient l'attention de personne, n'en sont pas moins éclairantes...
Démonstration par l'exemple : la conférence de presse donnée conjointement par la chancelière Merkel et le président Macron, à Brégançon. Visiblement, tout a été fait à cette occasion pour redonner au couple franco-allemand une place prépondérante au sein d'une Europe qui tend à se déliter : « Allemagne et France », « Madame la chancelière et moi-même », chaque sujet brûlant est l'occasion de rappeler (ou d'apprendre, car la vie dudit couple n'a rien pour autant d'un fleuve tranquille) que ce duo parle en réalité d'une seule voix.
Et puis, tout à coup, on perçoit dans la diction jusque-là parfaite du chef de l'État comme une hésitation, vite noyée (c'est le métier) dans un bredouillement plus flou qu'artistique : impossible, se repassât-on la vidéo que nous propose l'Élysée jusqu'à plus soif, d'établir si, après « nous en avons la conviction profonde », c'est « l'un et l'autre » ou « l'une et l'autre » qui sort de la bouche présidentielle. On irait jusqu'à jurer que le malheureux voit alors sa vie redéfiler en une fraction de seconde, celle-là même qui lui permet d'opter en dernier ressort pour un borborygme ininterprétable, garant d'impunité.
La grammaire, par la bouche de Jean Girodet notamment, se montre pourtant très claire sur le sujet. Quand l'un et l'autre renvoie à un masculin et à un féminin, c'est « l'un » qu'il sied d'employer : « France et Royaume-Uni ont l'un et l'autre exposé leurs conceptions du Brexit ». Pour que « l'une » retrouve ses droits, il importe que les deux noms auxquels on a affaire soient du féminin ! Pour peu que le chef de l'État se souvienne des leçons que lui dispensait hier celle qui est devenue son épouse, c'est « l'un » qu'il convenait donc de retenir, à seule fin de respecter la langue de la République.
Voilà cependant qui, en l'espèce, eût paru doublement discourtois : non seulement la galanterie exigeait que la primeur fût donnée à Angela Merkel, mais présenter cette dernière comme « l'autre », c'eût été, fort peu diplomatiquement, la réduire au rôle de comparse ! On devine, à cet instant précis, la tempête sous un crâne que le soleil du Var ne devait pas être le seul à frapper...