« Empirer », « s'empirer », la preuve
que le pire n'est pas toujours sûr !

< dimanche 23 février 2020 >
Chronique

L'usager de la langue n'en est décidément pas à une contradiction près : s'il se méfie comme de la peste des verbes pronominaux dont il peine à accorder le participe passé, il ne craint pas d'en inventer là où il n'en est nul besoin !

Prenez le verbe empirer, dont déjà nos médias usent et abusent : c'est qu'il y a toujours quelque chose pour empirer dans l'actualité, de l'Australie en proie aux flammes à la Chine en butte au coronavirus, en passant par une situation de plus en plus explosive au Proche-Orient ! Plus étonnante est la tendance, quasi virale, à faire de ce verbe intransitif un verbe pronominal : « La pollution à l'ozone s'est empirée considérablement » (Le Point) ; « La situation en Ukraine s'empire » (France 3) ; « Le bilan n'est pas fameux et pourrait même s'empirer avec la venue du LOSC » (La Voix du Nord).

Non qu'il faille crier à la faute caractérisée : des plus curieusement, et fût-ce en queue de gondole, le Dictionnaire de l'Académie française mentionne cette construction pronominale, sans doute parce qu'elle fit les beaux jours d'une littérature classique dont nos immortels ne sauraient se passer. Il y a pourtant gros à parier que ce n'est pas en souvenir de Molière que nos contemporains la maintiennent à flot : il faut plutôt voir là l'influence à peine occulte du synonyme s'aggraver. Au vrai, ce ne serait pas la première fois que le sens déteint sur la grammaire : ne tend-on pas aujourd'hui à construire pallier — un verbe tout ce qu'il y a de transitif direct pourtant ! — avec la préposition à, sous prétexte que l'on en fait (abusivement) un synonyme de remédier (à) ?

Cela dit, tous les autres dictionnaires ont sagement rangé ce tour parmi les bonnes adresses du passé, recommandant de ne plus utiliser aujourd'hui le verbe que sous sa forme intransitive. Pourquoi diable aller faire compliqué quand il est loisible de faire simple ? Conserver deux constructions quand il suffirait d'une ? Sied-il vraiment de faire « se finir » quelque chose qui peut fort bien se contenter de « finir » ? De « s'accaparer de » quelque chose que l'on pourrait se borner à « accaparer », tout simplement ?

Là encore, il est à craindre que les synonymes se terminer et s'emparer ne soient pas blancs comme neige ! Raison de plus pour le répéter haut et fort, et jusqu'à plus soif : en français, ce qui se ressemble n'a pas nécessairement vocation à s'assembler...