Qu'on se le dise : nous sommes entrés
dans l'ère du... prêt-à-porter !
À chaque époque son verbe fétiche ! Il semble bien qu'en ce moment ce soit le verbe porter qui ait le vent en poupe. Il suffit de tendre l'oreille et d'avoir l'œil sur le microcosme pour s'en persuader...
Naguère, il était en effet de bon ton de mener une réforme, de conduire une liste municipale, de piloter un projet de loi. Aujourd'hui, il n'est que de parcourir la presse pour constater que l'on porte tout, et le reste : « Gérald Darmanin est sorti de son couloir budgétaire pour porter la réforme des retraites avec ardeur » (Paris Match) ; « Pour l'emporter cette fois-ci, il a délaissé l'étiquette frontiste pour porter une liste de rassemblement local » (Le Journal du dimanche) ; « Elles sont trois ministres à porter le projet de loi bioéthique, qui arrive ce mardi à l'Assemblée » (Libération).
Ce n'est pas là le moindre paradoxe d'une époque où l'on nous rebat chaque jour les oreilles de la « crise de la représentation » : si nos politiques se portent mal, ils n'ont en revanche jamais tant porté, du moins en paroles ! C'est probablement qu'ils en tirent bénéfice en matière de communication. Voilà déjà qui fait d'eux autant de géants Atlas voués à soutenir le monde sur leurs frêles épaules. Et qui, accessoirement, donne de leur mission une image de « pénibilité », laquelle, si elle n'est pas encore de nature à leur valoir un régime spécial — pardon, spécifique : quand il apparaît difficile de changer les choses, mieux vaut commencer par les mots ! —, est censée leur attirer la sympathie, voire la commisération, de leurs électeurs.
On n'ira d'ailleurs pas jusqu'à crier à la publicité mensongère. Personne ne niera que tout cela soit effectivement lourd à... porter, qu'il s'agisse de braver les conservatismes ambiants, d'affronter à l'Assemblée les milliers d'amendements qui viennent défigurer votre bébé ou de faire parler d'une même voix trente-cinq personnes que vous avez eu toutes les peines du monde à rassembler !
Autre avantage collatéral et non des moindres, par les temps pour le moins incertains qui courent : le seul fait de « porter » laisse entendre que l'on pourra toujours, le cas échéant, et si les vents se révèlent contraires, « laisser tomber » ! Un luxe dans ce monde où la roche Tarpéienne n'est jamais très éloignée du Capitole...