Le langage des fleurs en temps
de guerre : une autre tour de Babel !
À l'initiative de Michèle Balembois-Beauchemin (Dico d'or, championne de France et de Belgique d'orthographe), la commune de Fontaine-au-Pire organisait pour le centenaire de l'Armistice un concours sur le thème du coquelicot.
D'aucuns se seront peut-être étonnés que ce soit ce dernier qui ait été choisi pour servir de fil rouge — c'est le cas de le dire ! — à l'opération culturelle en question. Ledit coquelicot, concéderont-ils, est certes associé au souvenir des soldats morts au front. Sa couleur n'est d'ailleurs pas sans rappeler le sang qui, tout au long de la Grande Guerre, abreuva, entre autres sillons, ceux des Flandres. Il reste que ce symbole, emprunté à un poème du médecin militaire John Alexander McCrae, a d'abord cours au Canada, son pays natal, ainsi qu'aux États-Unis et dans les pays du Commonwealth.
En France, c'est le bleuet qui, depuis 1920, est censé jouer ce rôle. Tout comme le coquelicot, il s'obstinait à repousser sur les champs de bataille quotidiennement retournés par les obus. Mais celui-là renvoie moins, on s'en doute, à la couleur du sang versé qu'à celle de l'uniforme bleu horizon qu'arboraient les recrues de la classe 17, considérées de surcroît comme des... bleus par les vétérans aux pantalons garance. Ces « bleuets de France » eurent droit eux aussi à leur poème, signé cette fois Alphonse Bourgoin.
On aura beau jeu de rétorquer, et avec raison, que la mort ne connaît ni frontières ni langues. Mais si, par extraordinaire, le besoin s'en faisait sentir, les nationalistes inconditionnels trouveraient de quoi se consoler dans l'étymologie : ce coquelicot descendrait en effet de l'ancien français coquerico, onomatopée d'alors pour le cri du coq, volatile français s'il en est ! Ainsi, ce serait à la crête du gallinacé, d'un rouge qui n'a rien à envier à notre papavéracée, que le coquelicot doit son nom. Voilà qui devrait suffire à lui rendre toute sa légitimité, non ?
Force est d'ailleurs de préciser que le bouquet ne s'arrête pas là. Nos voisins de Belgique ont opté pour la pâquerette, les Portugais pour l'œillet, les Italiens pour le lis (chez eux, aucun risque de confusion avec la monarchie de l'Ancien Régime), les Yougoslaves et les Roumains pour la pivoine et la violette.
Au demeurant, peu nous chaut ! L'essentiel n'est-il pas que l'on dise ce qu'on a à dire avec des fleurs plutôt qu'avec des fusils ?