Un poisson d'avril,
comme le veut la tradition,
mais lequel ?

< dimanche 1er avril 2018 >
Chronique

Plus facile de l'épingler sur le dos de son souffre-douleur que de lui donner un nom ! Loin de s'y risquer, le chroniqueur de langue se borne ici à vous éclairer sur les chouchous de ses alter ego, les mordus d'orthographe...

Gageons que ceux-là seront soupçonnés d'en pincer pour ces noms à pêcher dehors avec un billet de logement, lesquels semblent avoir été faits pour impressionner le commun des mortels ! Ont alors toutes leurs chances le cœlacanthe, le syngnathe et le chænichthys, sans oublier ceux de la belle famille des chondrichtyens, ces poissons dont, dixit le dictionnaire, le squelette reste cartilagineux chez l'adulte...

Mais ces monstres, aux yeux de nos passionnés, perdent vite de leur attrait. D'abord parce que, aisément repérés, ils sont aussitôt emprisonnés dans les filets d'une insolente mémoire visuelle. L'étymologie n'y aide pas peu : dans nombre de ces mots effrayants, on aperçoit la combinaison de lettres icht(h), caractéristique dudit poisson (ikhthus, en grec). Faut-il rappeler en ce jour de Pâques que les chrétiens ont toujours fait de ce dernier leur signe de ralliement, les lettres qui composent son nom désignant le Messie : Iêsoûs KHristòs Theoû HUiòs Sôtêr (« Jésus-Christ, fils de Dieu et Sauveur»).

Grande sera alors la tentation de se tourner, pour ferrer le distrait au cours d'une dictée, vers des vocables moins exotiques, mais tout aussi piégeux. On mettra le turbo sur le turbot, à moins que l'on ne fasse renaître le sandre de ses cendres : les homonymes, ça marche toujours ! Il n'est pas même exclu que l'on aille jusqu'à compter vingt mille... lieus sous les mers, et tant pis pour Jules Verne ! L'ombre sera d'autant plus appré...cié par nos farceurs qu'il est du masculin, à l'inverse de celle qu'ils vous font en vous prenant en faute. Quant à la brème, on ne manquera pas de s'assurer que vous ne troquez pas son accent grave contre celui, circonflexe, des musiciens de Brême. Cela ne fera pas...  une plie !

Une chose est sûre, c'est que certains poissons n'auront jamais la cote auprès de ces Pivots en herbe : exit la dorade qui peut aussi s'écrire daurade, rejetée à l'eau une lotte que l'on peut impunément amputer d'un « t » !

Mais votre serviteur vous a suffisamment tendu la perche : de peur de se voir mis à l'index par ses pairs, il ne lui reste plus qu'à devenir muet comme carpe...