À l'impératif, couvrez ce « s »,
que l'on ne saurait voir !
« En avril, ne te découvre pas d'un fil ! » Si le dicton est connu, son orthographe l'est moins. Sous prétexte que nous sommes à la deuxième personne du singulier, combien sont tentés d'ajouter un « s » à découvre ?
Ce serait oublier qu'à l'impératif ce « s » est souvent de trop. Quoi qu'on en pense, il n'est jamais de mise pour les verbes du premier groupe, de loin les plus nombreux : « Ne pleure pas sans cesse sur ton propre sort, pense au bien commun. » Mais ceux-là sont vite rejoints par nombre d'autres du troisième groupe, dont l'impératif se termine presque toujours, lui aussi, par le son [e] : couvrir et découvrir, sur lesquels s'est ouverte cette chronique ; assaillir, défaillir et tressaillir (« Tressaille si tu veux quand tu vois ta pension ponctionnée, défaille au besoin mais n'assaille pas le gouvernement pour autant ») ; cueillir, accueillir et recueillir (« Accueille cette mesure avec résignation ») ; savoir et avoir (« Sache que si le président l'a prise, c'est qu'il fallait la prendre : aie confiance en ce premier de cordée ») ; aller (« Va d'ailleurs lui en vouloir dès lors que tu l'as élu ! ») ; ouvrir et vouloir (« Ouvre enfin les yeux et veuille reconnaître objectivement qu'il y a plus mal loti que toi ») ; offrir et souffrir (« Offre donc ta part de CSG et souffre en silence »).
Pour que tous ces verbes puissent se parer de ce « s » dont on n'est d'ordinaire que trop prompt à les gratifier, il faudrait qu'ils soient suivis d'un pronom adverbial comme en ou y : « Si tu penses trouver mieux ailleurs, vas-y (et surtout restes-y) ! » ; « Plutôt que de râler, parles-en à ton député LREM ! » On aura pourtant compris qu'il ne s'agit plus le moins du monde de faire ressortir la deuxième personne du singulier, mais bien plutôt, en l'occurrence, de faciliter la prononciation... Et qu'il n'est pas question d'user de ce « s » devant un en préposition (« Offre en prime ton suffrage aux élections à venir ») ou un y qui dépendrait moins de l'impératif que de l'infinitif qui suit : « Toi qui croyais que ta maigre retraite ne faisait pas de toi un privilégié, va y comprendre quelque chose » !
Et l'on voudrait nous faire croire que la grammaire est une chose poussiéreuse qui n'a rien à voir avec l'actualité ? Qu'elle nous parle d'un monde que les moins de quatre-vingts ans ne peuvent pas connaître ?