Quand l'orthographe, par contagion,
sort à son tour de son lit...
Pour surprendre ceux qui participaient à ses dictées, Bernard Pivot n'avait souvent d'autre solution que de mobiliser nycthémère, chænichthys et autres mots « à coucher dehors avec un billet de logement ».
Heureusement — ou malheureusement ? — le Français normal ne pousse pas à de telles extrémités. Un rien le déstabilise, y compris les mots qu'il croit connaître, pour les entendre et les citer chaque jour que Dieu fait. Dès lors, il suffit de puiser dans le vocabulaire usuel pour provoquer des bourdes de la plus belle eau. Prenez (qui l'eût... cru ?) ces inondations qui ont fait récemment la une : il n'est pas rare que, dans l'espoir de recouvrir un peu plus les arpions du Zouave que l'on sait, elles se gonflent d'importance au point d'accueillir un « n » supplémentaire ! Il n'est que de parcourir Internet pour repérer l'indésirable sous la plume de journalistes de La Croix, des Échos, de L'Express, du Figaro, de L'Humanité, de L'Indépendant, de La Marseillaise, de Midi libre, de La Nouvelle République, de L'Obs, d'Ouest-France et de Paris Match. Rien, cette fois, dans La Voix du Nord, mais c'est qu'il ne drache jamais sous nos latitudes !
Pourquoi tant de « n » ? Il ne faut pas être grand clerc pour le deviner : le catastrophisme ambiant s'accommode mieux d'une consonne double, qui donne aux choses une autre dimension ! Ne sous-estimons pas non plus le rôle joué par d'autres mots commençant de même, à savoir innocent, innombrable, innovant... L'étymologie devrait certes nous prémunir contre ce rapprochement fatal, en nous rappelant aussitôt que nous sommes là dans de tout autres cas de figure. Le second « n » se trouve ici justifié par le fait qu'il inaugure le mot qui suit le préfixe, que celui-ci traduise la négation (l'innocent — du latin nocere — ne nuit pas, l'innombrable s'applique à ce qu'on ne peut nombrer) ou le mouvement (l'innovant pousse à la nouveauté)...
Rien de tel avec l'inondation, puisque le mot qui suit le préfixe n'est autre que onde (latin unda) et qu'il ne commence pas, lui, par un « n » !
Mais — ce n'est pas Blaise Pascal qui aurait affirmé le contraire —, que peut la raison contre l'imagination ? Et qui en voudra au sinistré qui, s'exclamant « Que d'eau, que d'eau ! » en souvenir de Mac-Mahon, considère que ce déluge inédit mérite bien deux « n » ?