Au royaume de la pagaille,
les Français
sont-ils décidément les rois ?
Au spectacle du chaos qu'ont provoqué chez nous les premières chutes de neige dignes de ce nom, il semblerait que nos cousins québécois, en toute solidarité francophone, se soient offert un moment de franche rigolade...
La conscience tranquille de notre supériorité en a pris un coup : et si, simple hypothèse d'école, la pagaille était une spécialité française ? Totalement incompétent en cette matière comme dans nombre d'autres, le chroniqueur de langue se gardera d'apporter à cette question angoissée une réponse définitive quant au fond, mais il n'en tient pas moins à rassurer les masses sur la forme : le terme, par ses racines, n'a rien d'hexagonal. Il nous viendrait plutôt de l'archipel des Moluques !
C'est qu'entre la pagaie, vocable d'origine malaise, et notre pagaille il y a tout juste l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarettes : le second mot — qui s'écrit aussi, mais beaucoup plus rarement, pagaïe ou pagaye — est la déformation populaire du premier. C'est même de la façon irrégulière et apparemment désordonnée dont on frappe l'eau de l'une que viendrait le sens de l'autre ! Voilà qui donnera un autre poids aux propos de ceux (les « y-a-qu'à » et les « faut-qu'on » stigmatisés par Anne Hidalgo) qui reprochent aux pouvoirs publics de ne pas en fiche une rame pour les tirer de là...
Nul doute, par conséquent, que nous n'ayons plus français en stock... Las ! force est d'avouer que la concurrence ne fait pas toujours dans le distingué. Quand merde aurait été connu des Romains déjà (le latin merda l'atteste), Cambronne pensait avoir fait pour l'éternité, de ce mot qui claque, le symbole de la fierté française. Mais sa cote ne cesse de baisser, au point qu'on lui substitue de plus en plus, aujourd'hui, un Oups ! sans saveur ni odeur. Le passé francique de bordel — lequel, en outre, fleure bon les lupanars de Madame Claude — ne le disqualifiait pas d'emblée. Mais, de même que foutoir, le drôle répand des fragrances qui ne sont pas toutes d'eau bénite. Reste chienlit, auquel le général de Gaulle, en mai 68, aura incontestablement donné ses lettres de noblesse. Mieux vaut pourtant ne pas se souvenir que le sauveur de la France avait, à ses rares heures perdues, conservé un vocabulaire de corps de garde, et qu'il ne s'agissait de rien de moins, initialement et (si l'on ose dire) au sens propre, que de « déféquer au lit ».
Va donc pour pagaille ! Comme disait l'autre, qu'importe le flacon, pourvu qu'on se retrouve sur les fesses...