« Être allé » ou « avoir été » :
telle est la question !

< dimanche 30 avril 2017 >
Chronique

Un lecteur assidu nous dit sa surprise de trouver, dans un magazine comme Valeurs actuelles et sous la plume de la cultivée Catherine Nay, un « ami chez qui [Jean-Luc Mélenchon] avait été panser ses plaies... »

La substitution du verbe être au verbe aller, c'est sûr, a de tout temps fait grincer des dents. Elle a beau recevoir l'onction du Petit Robert comme du Petit Larousse, elle est réputée relever du langage familier, pour ne pas dire relâché. Dès lors qu'il y a mouvement, aller sera toujours plus à sa place qu'un verbe être qui a déjà beaucoup donné : ce n'est pas ce dernier que l'on irait soupçonner d'emploi fictif, fût-ce dans ses tâches d'auxiliaire !

Il reste que ladite substitution n'a pas séduit que des incultes. On accordera certes à l'auteur du Grand Meaulnes le bénéfice du doute stylistique : le souci de ne point se répéter n'est probablement pas étranger à son « Moi aussi je suis allé là où vous avez été ». De même on reconnaîtra à ses pairs le droit, sinon le devoir, de faire parler leurs personnages autrement que comme des agrégés de lettres ! Mais, au discours indirect, ce brigadier de Mérimée qui « avoua qu'il avait été chercher dans une pièce voisine une feuille de papier » ? Cette fille de Maupassant qui « l'avait été trouver chaque nuit dans sa hutte » ?

C'est que, remarque Grevisse, « l'emploi d'être pour aller remonte aux origines de la langue ». Nos classiques eux-mêmes, de Pascal à Bossuet en passant par Molière, ne se montraient pas regardants en la matière, au point que certains grammairiens... sont allés leur chercher des justifications a posteriori : « Je suis allé » signifierait que je suis toujours sur les lieux, « J'ai été », que j'en suis revenu !

N'arrange rien le fait qu'au sens figuré, quand toute idée de déplacement a disparu, être allé paraîtrait presque incongru. Essayez donc de l'imposer en lieu et place de « Cette montre qu'on lui a offerte n'a jamais si bien été qu'aujourd'hui », ou de « Ces costumes ne lui ont plus été dès qu'on en a révélé la provenance » !

Pis : ce qui est tenu pour maladroit, voire incorrect, au passé composé est au contraire considéré comme littéraire au passé simple : songerait-on à faire la fine bouche devant une phrase telle que : « Il s'en fut retrouver la quiétude de son manoir » ? Il est vrai qu'à lui seul, aujourd'hui, le passé simple passerait pour littéraire !