Chez le « footeux » Pivot,
la littérature et la vie
se renvoient la balle...

< dimanche 7 mai 2017 >
Chronique

Par respect pour les monstres sacrés qu'il a côtoyés aux temps héroïques d'Apostrophes, Bernard Pivot ne s'est jamais pris pour un écrivain. Quand cette modestie l'honorerait, il a tort !

Peut-être s'est-il laissé influencer par son ami Peter — vous savez, l'homme du principe ? À l'en croire, celui-ci l'aurait continûment dissuadé de céder aux sirènes d'une notoriété qui n'a rien d'un « brevet d'omniscience » en allant faire ce pour quoi il n'était point fait. C'est notamment grâce à ce Peter que Bernard Pivot n'a pas présidé aux destinées d'une chaîne de télévision, un « job » qui l'eût barbé plus souvent qu'à son tour ! Il est pourtant heureux qu'il n'en ait fait cette fois qu'à sa tête, à l'instar de cette mémoire qui ricoche, galet pirouettant à la surface des eaux de son enfance, sur quelques morceaux choisis de ses innombrables lectures.

Car écrivain, il l'est, ô combien ! Certes, il s'agit moins de créer un monde que de conter le nôtre à l'aune du sien. Mais l'un et l'autre le valent bien. Il est significatif qu'aux Mémoires, ce prurit de l'âge blet, Pivot ait préféré sa mémoire, fût-elle lacunaire et imparfaite. Rien de linéaire ici, mais une balade épicurienne à sauts et à gambades, parmi « ces riens qui sont de nos vies des signes de ponctuation et d'adieu ».

Le chroniqueur de langue — on ne se refait pas — boit du petit-lait devant l'éloge du trait d'union, ce dernier semblant à notre homme, dans le tire-bouchon, « une parfaite représentation de l'hélice qui s'enfonce dans le liège et le goulot ». Parole d'expert, venant de l'auteur du Dictionnaire amoureux du vin ! Mais le naturel est chassé au galop par les bonheurs d'expression qui affleurent à chaque page : ce père qui explose au diapason de la vitre qu'a brisée son Mekhloufi de fils, futur grand écumeur de chaudrons devant l'Éternel ; ces poèmes de jeunesse « qui offensaient gravement Alfred de Musset mais disparurent avant que ce dernier eût le temps de protester » ; cette « curiosité de concierge » pour ce qui se cache sous la couverture d'un livre... ou dans l'entrebâillement d'un décolleté !

On l'aura compris, Pivot-la-blouse-grise s'adresse désormais à l'ensemble de la classe. Quand c'est le cœur qui dicte, le sans-faute est à la portée de tous : à la règle universelle de la vie, il n'est heureusement pas d'exceptions.