Va-t-on bientôt en être réduit
à... huer les sifflets ?

< dimanche 26 juin 2016 >
Chronique

À chaque tournoi majeur, le commentaire sportif s'enrichit de quelques expressions nouvelles : c'est là le prix à payer si le journaliste veut, face à un spectacle qui se renouvelle par essence assez peu, échapper aux banalités...

Cet Euro vient en tout cas le confirmer avec éclat : si les arbitres d'hier ne sont pas tout à fait morts, ils ont vécu. Parler de « sifflets » est autrement à la mode aujourd'hui. Dans un numéro spécial, notre confrère France Football consacrait ainsi — pardon, dédiait ainsi — une pleine page aux « dix-huit sifflets titulaires ». On n'en voudra pas à l'auteur de ces lignes, lequel enseigna longtemps le français, d'envier ses successeurs : ils tiennent là un exemple de métonymie bien plus sexy que ceux, littéraires, auxquels il avait l'habitude de recourir pour sa part !

En même temps, on ne voit pas pour quelle raison on refuserait au sport ce que l'on accorde sans barguigner à la musique : y a-t-il encore quelqu'un pour s'étonner qu'on évoque le trombone chauve du troisième rang, ou encore ce dragueur de premier violon ? Désigner l'exécutant par son instrument de prédilection, voilà qui, aurait dit maître Capello, est de bon aloi. Et tant qu'on ne parle pas de Rocco Siffredi comme du meilleur sifflet du plateau, la pudeur est sauve !

En tout cas, cela vaudra toujours mieux que l'affreux « referee » d'hier qui, fût-il prononcé à la française au risque d'être confondu avec le référé de la Cour des comptes, cachait mal son passé de hooligan britannique.

On se montrera pourtant plus réservé à l'égard de la construction, quelquefois surprenante, du verbe. De plus en plus fréquemment, en effet, on souligne l'expérience de tel ou tel arbitre en précisant que ce dernier a déjà « sifflé des rencontres de Ligue des champions ».

Siffler tout court, on comprend, l'intéressé étant d'abord intransitif : il s'agit d'émettre un sifflement, avec la seule bouche ou avec l'aide d'un instrument. Siffler une faute ou la mi-temps, ça va toujours. C'est alors signaler quelque chose par le biais d'un coup de sifflet. Siffler quelqu'un, pourquoi pas : on peut tout à fait « siffler un contrevenant ». Mais « siffler un match » ? On entend bien que l'on veut dire par là « arbitrer » ou « diriger ». Était-il besoin, malgré tout, de troquer ceux-ci contre celui-là ?

Les dictionnaires ont jusqu'ici répondu par la négative. C'est qu'il faut savoir, de temps à autre, siffler... la fin de la récréation linguistique !