Quand les Bleus,
pour la bonne cause,
se muent en hématomes...

< dimanche 12 juin 2016 >
Chronique

Efficace, cette affiche où l'on voit Raymond Domenech, ex-sélectionneur de l'équipe de France de football, froncer ses broussailleux sourcils et clamer à la face de l'Hexagone : « Je ne supporte pas les Bleus... »

De prime abord, l'imagination va bon train. On se doutait bien que toutes les plaies n'étaient pas refermées. Que l'altercation avec Nicolas Anelka, que la grève de Knysna, que le psychodrame du bus avaient laissé des traces. De là à s'attendre à une telle prise de position quelques jours avant l'Euro, « il y avait la place », comme disent nos footballeurs dès qu'un micro se tend...

Et puis, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que l'ancien défenseur de l'OL n'est pas le seul à manifester sa défiance : Christian Jeanpierre la partage. Aurait-il, lui, mal digéré son éviction du micro de TF1 au profit de Grégoire Margotton ? Mais aussi Fran(c)k* Lebœuf, et là on sèche... Estelle Denis, la compagne de Domenech, Laurence Ferrari et Hervé Mathoux sont eux aussi de la fête. Et soudain on comprend qu'il ne s'agit pas de nos footballeurs mais des... coups que subissent les victimes de la violence conjugale ordinaire ! Voilà une utilisation intelligente de ces effets de polysémie que, pour le meilleur comme pour le pire, permet la langue française.

Bon ! force est d'avouer qu'en l'occurrence on a un peu triché. « Bleus » n'aurait jamais dû s'écrire avec une majuscule pour signifier « ecchymose », un nom commun. Mais comme on a pris la précaution d'en mettre une aussi à « Supporte », voire aux autres mots de la phrase, conformément à une manie qui sévit outre-Manche, nous n'irons pas chipoter. Certes, on aurait pu se contenter d'un « b » minuscule, Robert lui-même n'hésitant pas à écrire « Allez les bleus ! ». (Fonderait-il quelque espoir sur leur élimination rapide, pour les traiter ainsi en novices ?) Mais reconnaissons que la provocation y eût perdu.

Infiniment positive, en revanche, nous semble cette opération publicitaire quand elle nous rappelle que le verbe supporter, dès qu'on en use au sens sportif et anglais du terme, est des plus ambigus : combien de supporteurs inconditionnels n'ont pas... supporté l'attitude de nos représentants en Afrique du Sud, et pas davantage, plus près de nous, les frasques des Valbuena, Benzema, Aurier, Cantona et consorts ?

Ne serait-il pas plus judicieux d'« encourager » nos joueurs, de les « soutenir » ? Voilà qui nous mettrait à l'abri de contresens tels que celui dont nous avons fait les frais un peu plus haut !

* Impossible de savoir si le « c » s'impose, la Toile étant incontestablement partagée.