Du participe passé faisons table rase ?

En sortant de l'école...

< mardi 8 avril 1997 >
Chronique

Comment voulez-vous que réagisse un collégien d'aujourd'hui, déjà sceptique à l'idée que son avenir puisse dépendre de sa capacité à maîtriser la règle d'accord du participe passé avec avoir, lorsqu'il entend un chef d'entreprise (en bon français, on dit manager) défendre au micro les décisions qu'il a « pris » ? Un homme politique les réformes qu'il a « promis » ? Une vedette les émissions qu'elle a « fait » ? Et de quel crédit peut encore jouir l'enseignant face à celui qui, chaque soir, à l'heure des informations, s'invite à la table familiale pour y mettre à mal la règle assimilée à grand-peine au cours de la journée ? Poser ces questions, c'est bien sûr y répondre et dénoncer une fois de plus le fossé qui se creuse entre l'école et la vie. Le divorce, au demeurant, ne date pas d'hier : la règle dont Clément Marot est le père a toujours été bafouée dans la langue orale, et parfois même dans la langue écrite. Vaugelas le premier avouait qu'il n'y avait rien de plus important dans toute la grammaire française... ni de plus ignoré ! Nombreux sont du reste les grammairiens qui, sans aller jusqu'à recommander de s'en affranchir, ont critiqué cette règle, selon eux arbitraire. Le principe, pourtant, nous en semble infiniment logique : si, au moment d'écrire le participe, je connais le nom auquel il s'applique — autrement dit si le c.o.d. précède le participe —, j'en tiens compte pour l'accord ; dans le cas contraire, ledit participe reste invariable. On peut, certes, mépriser nos écoliers au point de les juger incapables d'appliquer une règle aussi simple, et généraliser l'invariabilité. C'est ce qu'ont toujours prôné les adeptes, forcément populaires, du nivellement par le bas. On peut aussi, au prix d'une politique plus volontariste, rappeler que communiquer n'interdit pas de réfléchir ; souligner que cet effort de réflexion est de nature à développer de sains réflexes, qui s'étendront à d'autres matières que l'orthographe ; et inciter nos élites, ces « vecteurs d'opinion », à prendre conscience de leurs lourdes, très lourdes responsabilités en ce domaine...