On nous interpelle sur « interpeller »

Un flou très prononcé

< mardi 25 mars 1997 >
Chronique

Le verbe interpeller n'est pas seulement le porte-parole involontaire de ce style prétentieux qui, pour mieux polluer notre langue, accouche de phrases aussi surréalistes que « ça nous interpelle quelque part au niveau du vécu »... Il provoque également l'ire d'une lectrice de Bavinchove, laquelle s'insurge contre la tendance, selon elle récente, à le prononcer comme s'il ne comportait qu'un l, à l'instar d'appeler. « Avant 1968, argumente-t-elle, les sévères inspecteurs primaires auraient bondi et baissé la note de mérite des maîtres... » Et notre correspondante de souhaiter qu'Armand Jammot — Bernard Pivot lui pardonnera — glisse un jour le verbe interpeller dans une de ses dictées. Le hic est qu'il l'a déjà fait... et qu'il a prononcé le mot comme tout le monde ou presque, trop heureux de tendre par là un piège supplémentaire aux candidats. Car si Jacques Capelovici a fait de cette question — ô combien épineuse — un de ses chevaux de bataille et tempête contre « ceux de nos compatriotes, fort mal informés, qui prononcent bien à tort ce mot comme s'il s'écrivait interpeler », les dictionnaires ne lui emboîtent guère le pas, Robert ne mentionnant plus que la prononciation incriminée ! De son côté, Grevisse note que, dans la flexion orale de ce verbe et devant une syllabe finale tonique, on entend plus souvent l'e de peler que celui de sceller. Il en est de même, ajoute-t-il, pour Montpellier. Laisser-aller regrettable ? Voire ! Maître Capelo, emporté par sa fougue légendaire, va sans doute trop loin en affirmant que les verbes interpeller et appeler ne sont « nullement apparentés étymologiquement » : ils dérivent tous deux de la même forme latine pellare, et l'on peut à bon droit s'étonner que le premier ait conservé ses deux l quand le second n'en gardait qu'un. De plus, la prononciation fait souvent bon marché de l'orthographe : si Jean Girodet est de l'avis de notre lectrice pour interpeller, il ne se préoccupe pas outre mesure des deux l de dentellière lorsqu'il préconise la prononciation den-te-lière !