« Baguette rassie »
ou « baguette rassise » ?
On n'y comprend... mie !
Voilà bien un de ces problèmes qui sont pain bénit pour le chroniqueur de langue : pas un spécialiste ne dit la même chose, et le commun fait comme bon lui semble. À lire ce qui suit, on le comprendrait à moins...
Tant que vous restez chez Larousse, tout va pour le mieux dans le meilleur des fours : l'entrée nous donne en effet RASSIS, ISE, les exemples font état d'un « pain rassis », d'une « viande rassise ». Mais changez de crémerie, ou plutôt de boulangerie, et le malaise, si l'on ose dire, ira croissant. Pour Robert, le féminin rassise est inusité et l'on dit rassie : « du pain rassis ; une brioche (...) rassie ». Flûte, alors ! Explication de la même farine dans le Trésor de la langue française : « Le féminin rassise est rarement employé au sens de "desséché, sans être dur", où on lui préfère la forme familière rassie. »
Oui, mais cette forme familière est-elle en odeur de sainteté ? Est-on fondé à en user ? Pour le Larousse pratique, qui trouve là l'occasion de s'affranchir de la tutelle de son glorieux aîné, oui : « Le verbe rassir, créé à partir du participe passé du verbe rasseoir, a deux participes passés : rassi, e (« du pain rassi, une brioche rassie ») ou rassis, e (« un quignon rassis, de la mie de pain rassise »). » Non pour Adolphe Thomas, lequel prône, dans le Dictionnaire (Larousse !) des difficultés de la langue française : « Du pain rassis, une miche rassise (et non rassie) ». Non encore pour Jean Girodet qui, chez Bordas, gronde : « On évitera d'écrire "du pain rassi, une brioche rassie" » ! Et pas davantage pour l'Académie, qui en la matière en connaît probablement un rayon : ne traite-t-on pas régulièrement ses immortels de... vieux croûtons ?
Jean-Paul Colin est plus nuancé : « Quand ce mot est employé comme adjectif, au sens de "desséché", en parlant de certains aliments, la forme féminine est, au moins dans la langue cursive, rassie. Bien que le bon usage n'admette pas plus cette déformation que la création du verbe rassir, il semble que la plupart des gens, même cultivés, ne comprennent plus que rassis est à rattacher au verbe rasseoir, et que personne ne se risque à employer le tour correct : "une brioche rassise". » Bref, vous avez le choix : paraître ignorant ou passer pour ridicule...
Il y aurait pourtant bien une troisième solution : votre baguette, consommez-la fraîche !