Des effets méconnus de l'orthographe
sur les... comptes de Noël !
« L'orthographe, le respect de la langue, à quoi ça sert ? », n'entend-on que trop souvent. Eh bien, à vendre, figurez-vous ! Ou, à tout le moins, à ne pas décourager l'acheteur potentiel. Vous en doutez ? Lisez plutôt...
Ceux qui me connaissent (je laisse tomber le nous de modestie, peu adapté à la tranche de vie qui suit) savent que — initiales obligent ! —, je ne fais pas fi de la bande dessinée. Ceux qui connaissent la B. D. savent que la mode est aux « intégrales », qui permettent aux éditeurs de nous vendre une seconde fois des albums que nous avons déjà, mais sous une forme autrement attirante.
Il y a quelques jours à peine, je découvre le premier tome d'une série dédiée aux Tuniques bleues. Encore une fois, j'ai toutes leurs aventures, mais le moyen de résister à cette énième mouture qui fleure bon le neuf et qui aurait si fière allure dans ma bibliothèque ? Je caresse la coruscante couverture, en respire furtivement l'odeur, me dis que cette petite œuvre d'art remplacerait avantageusement des albums sur lesquels le temps et ma main, si précautionneuse qu'elle soit, ne sont que trop passés. Je suis près de craquer, oubliant presque que tout cela coûte cher et, surtout, prend de la place. Bref, c'est déjà résigné que je jette un coup d'œil à la quatrième de couverture...
Heureusement, j'y lis : « Afin de palier au départ du Lucky Luke de Morris, l'éditeur charge deux jeunes recrues d'assurer la relève... » À la construction intransitive du verbe pallier, je suis habitué : nous ne sommes pas si nombreux à savoir que l'on « pallie quelque chose ». À l'oubli du second « l », beaucoup moins. Il semble que l'on ait là franchi un nouveau... palier dans le laisser-aller !
Quoi qu'il en soit, le charme est rompu. Casser une tirelire déjà mal en point, affronter les sarcasmes — en l'occurrence mérités — de ma femme, céder à cette fièvre acheteuse à laquelle la magie de Noël ne nous prédispose que trop, j'y étais prêt. J'y suis d'ailleurs (je le confesse ici, toute honte bue) toujours prêt. Encore faut-il que le luxe en soit un, et jusque dans le moindre détail. Qu'une cicatrice ne vienne pas déparer le visage avenant de la tentation.
L'éditeur, par négligence, a raté une vente. J'ose espérer que ce ne sera pas la seule : c'est que nous vivons à une époque où l'on ne s'amende que quand on est frappé au portefeuille...