« L'égoportrait » pour contrer le « selfie » :
une fausse bonne idée ?
Si vape — mot de l'année 2014 pour le prestigieux Oxford Dictionary — s'est trouvé un équivalent convaincant dans notre vapoter, il n'en va pas tout à fait de même pour celui de l'an dernier, selfie.
Vous savez, cette photo que vous prenez de vous à bout de bras avec votre téléphone portable, pour la publier ensuite sur les réseaux sociaux, surtout quand une célébrité vous fait l'honneur de poser en votre compagnie ? Autoportrait est vite apparu trop ancien pour rendre compte efficacement d'un phénomène de mode aussi récent. Autophotographie ne présentait pas cet inconvénient, mais sa longueur l'a disqualifié d'emblée : cette dernière, on le sait, est rédhibitoire en regard de la concision anglo-saxonne... On pouvait aussi opter pour l'apocope autophoto, pour peu que l'usager survive au complexe bien connu du maréchal de Mac-Mahon : que d'o, que d'o !
Nos cousins francophones d'outre-Atlantique ont, par la voix respectée de l'Office québécois de la langue française, suggéré une ultime solution : égoportrait. Un vrai « coup de génie », s'est enthousiasmé notre homologue de l'Express de Toronto : cet équivalent rendrait parfaitement, selon lui, « le côté égocentrique et la valorisation de soi-même propres à l'autoportrait ». Reste à savoir, poursuit-il, « si le terme (...) pourra se tailler une place dans l'usage ».
Oserons-nous avouer que nous en doutons ? Pour qu'un mot soit adopté, il importe que ses utilisateurs potentiels ne se sentent pas dévalorisés au moment d'en user. Or le préfixe latin ego a trop servi, jusqu'ici, à forger des mots à connotation péjorative (que l'on songe, effectivement, à égoïsme et à égocentrisme) pour qu'il puisse rallier d'autres suffrages que ceux des masochistes. Personne ne niera, tant la pratique susdite ressortit au narcissisme, que l'ego (volontiers qualifié de « surdimensionné ») ne soit ici à sa place. Mais toute vérité n'est pas bonne à dire, surtout quand il s'agit d'obtenir de l'usager qu'il se détourne d'une habitude déjà ancrée pour en embrasser une nouvelle !
Dur, dur, de dénicher l'oiseau rare dans sa propre langue, quand le vocable étranger a le flou pour lui : on peut ainsi vomir le smartphone et lui être reconnaissant de nous faire oublier qu'il signifie, stricto sensu, « téléphone intelligent ». Un téléphone intelligent ? Et puis quoi encore ?