Tel qui rit mardi, mercredi pleurera...
Place au jeûne !
Il y a quelque chose d'attendrissant, de pathétique presque, dans la frénésie des carnavals de jadis, dans cette volonté d'exorciser par avance la longue période d'abstinence qui s'ensuivrait : comme l'écho d'un temps où, parce que la vie était rude, l'on savait encore faire la fête... Gardons-nous, cela dit, de jouer les sociologues et quittons bien plutôt les accents du Mardi gras pour ceux, fussent-ils plus austères, de notre bonne vieille grammaire. Pouvait-on rêver jour plus propice, en effet, pour rappeler que si jeûner prend un accent circonflexe — au même titre que ses dérivés jeûne et jeûneur —, il n'en va de même ni pour déjeuner ni pour la locution adverbiale à jeun ? En ce qui concerne cette dernière, l'explication est toute trouvée : une voyelle autre que e ne peut recevoir l'accent circonflexe que lorsqu'elle termine la syllabe graphique... C'est pour cette même raison, soit dit en passant, que l'accent de traîner ne se retrouve pas dans train. Pour ce qui est de déjeuner, en revanche, la justification est moins aisée : le mot est visiblement de la même famille que jeûner et il se devrait de manger (si l'on ose dire !) à la même table. Au sens propre du terme, déjeuner signifie, sans conteste, « cesser de jeûner ». Alain Rey le rapproche d'ailleurs de la forme anglaise breakfast, elle-même dérivée de to break one's fast, littéralement « rompre le jeûne ». Pourquoi, dans ces conditions, l'Académie a-t-elle jugé bon de retirer à l'un ce qu'elle concédait à l'autre ? Sans doute a-t-elle estimé que l'accent circonflexe, inutile vestige d'une ancienne diérèse (le mot s'est autrefois écrit jeüner), pouvait sans dommage être supprimé dans déjeuner, dont le sens premier n'est plus guère perçu, alors qu'il s'avérait impératif de le maintenir dans jeûner et ses dérivés, par peur d'une confusion avec l'homonyme jeune. C'est qu'en orthographe une logique s'exerce souvent aux dépens d'une autre... Il reste à savoir ce qu'en pensent tous ceux que découragent de telles subtilités, et qui, jeûne ou pas, font volontiers profession d'en avoir soupé !