Comment avoir la frite ?
En en faisant des tonnes !

< dimanche 22 septembre 2013 >
Chronique

Surtout, si vous faites halte à Hazebrouck aujourd'hui, n'y commandez pas une « petite frite » : les autochtones vous accuseraient de jouer petit bras, quand ils en ont six tonnes à écouler !

Tel est en effet le défi que s'est lancé, pour fêter le vingt-cinquième anniversaire de sa société, Hervé Diers, le patron d'Hedimag : battre le record, évidemment détenu par nos voisins belges, du plus gros cornet de frites pour entrer dans ce saint des saints que constitue le « Guinness Book ». Purée ! Que voilà un pari sympathique et exemplaire, à une époque où, crise oblige, les entreprises sont plus volontiers enclines à... dégraisser !

Autrement coutumier — à sa grande honte — de l'épluchage des dictionnaires que de celui des pommes de terre, l'Hazebrouckois qui écrit ces lignes s'en voudrait de ne point apporter sa caution culturelle à la fête.

N'est-ce pas le dimanche ou jamais de s'interroger, par exemple, sur le « record », ce mot aux pouvoirs magiques qui devrait mobiliser aujourd'hui la bagatelle de deux mille bénévoles ?

Encore un vocable d'outre-Manche, nous direz-vous. Mais ici, et c'est le cas beaucoup plus souvent qu'on ne le pense, l'honneur est sauf : il fut français avant d'être anglais. Et si Albion lui a donné, sans conteste, ses lettres de noblesse sportives au dix-neuvième siècle, en faisant un « rrésultat supérieur à tous ceux qui ont été obtenus dans le même domaine », c'est au royaume de France que, quelque six cents ans auparavant, il avait vu le jour.

À l'époque, alors qu'il se terminait aussi bien par un « t » que par un « d », il ne s'agissait, en bon avatar d'un verbe recorder très répandu dans la langue juridique (« rapporter en tant que témoin »), que d'un rappel, d'une attestation. Le verbe latin recordari et son descendant abâtardi recordare ne signifiaient-ils pas déjà l'un et l'autre « se rappeler » ? Et celui que l'on nomma longtemps recors (avec un « s », cette fois) n'avait-il pas mission, sous l'Ancien Régime, d'épauler l'huissier, en lui servant notamment de témoin ?

Le mot, nous l'avons dit, ne se spécialisera dans le domaine de la compétition que beaucoup plus tard, il y a un siècle et demi à peine. En un premier temps pour évoquer l'enregistrement officiel d'une performance. Puis il s'appliquera à la « liste de toutes celles qu'aura accomplies un champion ». Enfin, il se bornera à désigner la meilleure d'entre elles, la plus digne de demeurer sur les tablettes... après en avoir effacé celles de ses concurrents !

Pour achever de repeindre aux couleurs de Sa Majesté ce mot bien de chez nous, il ne nous restait plus qu'à forger complaisamment, comme nous ne sommes que trop prompts à le faire, ces faux anglicismes que sont recordman et recordwoman...

Puissent ces élucubrations étymologiques ôter un peu de pression aux Hazebrouckois qui, durant toute la journée, vont mettre la main à (plutôt que dans) la friture : qu'ils réussissent ou non à damer le pion à des Belges qui, c'est à craindre, n'auront aucun mal à prendre leur revanche lors de la prochaine Coupe du monde de football, il s'agira, quoi qu'il arrive, d'un « record » au sens ancien du terme, cette journée promettant de rester dans les mémoires ! Cela dit, on leur souhaite naturellement de casser la... baraque. Eu égard à l'ampleur des moyens mis en œuvre, les organisateurs, en cas d'échec, risquent fort d'en avoir gros... sur la patate !