Faudra-t-il bientôt
répondre du tacle au tacle ?

< dimanche 30 décembre 2012 >
Chronique

Afin d'évaluer la place qu'occupent les sports — et notamment le plus populaire d'entre eux — dans nos sociétés d'aujourd'hui, il est des indicateurs autrement fiables que la feuille de paie des footballeurs du PSG ou le coût d'une cure de luminothérapie pour la pelouse du Grand Stade.

Il suffit bien plutôt de scruter nos habitudes langagières pour constater que nos phrases (diraient nos confrères des Guignols, lesquels viennent de réinventer le parler schtroumpf) se « zlatanisent » lentement mais sûrement.

Un échantillon et un seul, glané — sans que l'on ait eu à chercher vraiment — sur les premières pages venues de l'ami Google ? Le verbe tacler : « Le Guen vise Paris et tacle Hidalgo et Delanoë » (Le Figaro) ; Buisson choisit Copé et tacle Hollande » (Le Monde) ; « Dati confirme sa candidature à Paris, tacle un Fillon "susceptible" et "orgueilleux" » (Le Parisien) ; « Valérie Trierweiler tacle Sarkozy » (Libération) ; « Ayrault tacle le minable Depardieu » (Europe 1) ; « Quand Deneuve tacle Torreton » (La Voix du Nord) ; « Élie Semoun tacle Gad Elmaleh et Jamel » (Voici) ; « Bercy : le courrier de Moscovici qui tacle Montebourg » (L'Express) ; « Aurélie Filippetti tacle Universal Music » (Le Point). Sans oublier, évidemment, le savoureux et tellement crédible « Benoît XVI tacle le mariage pour tous » du Nouvel Observateur !

Sauf votre respect, avouerons-nous que nous en restons sur le c... ? Normal, en même temps, après cette débauche de tacles ! Mais c'est égal : qu'un seul mot de la sphère footballistique, anglicisme bon teint de surcroît, soit ainsi parvenu à renvoyer au vestiaire nos pourtant consacrés admonester, agresser, casser, chapitrer, contrer, démolir, descendre, flinguer, incendier, morigéner, moucher, rabrouer, remballer, rembarrer, remettre à sa place, réprimander, river son clou, sermonner, vilipender, tancer (nous en passons et probablement des meilleurs) en dit long sur notre addiction grandissante au ballon rond.

Bien entendu, et comme de coutume, les avocats du diable ne manqueront pas. On nous expliquera par exemple que l'on ne retrouve pas, dans les vocables bien de chez nous qui précèdent, la violence, voire le côté sournois du tacle. Le Petit Larousse n'indique-t-il pas, d'ailleurs, la voie à suivre en voulant voir dans ce dernier une attaque « parfois déloyale » ?

Qui ne sentirait pourtant que ce « parfois », précisément, est à double tranchant ? Qu'il laisse planer sur le sens de la phrase une sérieuse équivoque ? Car enfin, si au football certains tacles par-derrière sont suffisamment dangereux pour valoir un carton rouge à ceux qui en prennent l'initiative, il en est d'autres qui sont parfaitement réguliers. Entre ces deux extrêmes, sans doute sied-il encore de distinguer entre tacle appuyé, tacle assassin, tacle viril... Comment, dès lors, dans les divers messages recensés plus haut, le lecteur pourrait-il se retrouver ?

À moins, bien sûr, qu'il ne soit entendu une fois pour toutes que, dans ces univers impitoya-â-bles de la politique et du showbiz où les coups sont presque toujours tordus, il ne saurait y avoir que des tacles malintentionnés !

Si nous ne voulons pas, en tout cas, que la langue de Molière se résume bientôt à celle de Christian Jeanpierre, il serait grand temps que quelqu'un sifflât la fin de la partie. Nous voulons dire : « que quelqu'un mît le holà ».

Mais non, nous n'avons pas dit : « fît la ola » !