À l'occasion de Paris-Roubaix :
sous les pavés... la langue !
Ne nous y trompons pas : quelque respect que nous ayons pour ceux que l'on appelait hier les « forçats de la route », les vedettes du jour resteront bien les pavés. Il semblerait d'ailleurs qu'ils fussent de plus en plus malaisés à dénicher ! Fort heureusement, dans notre langue, ils courent toujours les rues...
La plupart ne posent d'ailleurs pas le moindre problème d'interprétation. Chacun comprend, par exemple, ce que l'on veut dire par jeter un pavé dans la mare : il suffit d'entendre Martine Aubry évoquer le temps où elle sera candidate et de voir se troubler, dans les minutes qui suivent, l'eau de rose que certains optimistes veulent voir couler rue de Solferino. Même sérénité, quand l'expression serait nettement plus désuète, vis-à-vis de celui qui a eu une discussion avec les pavés. Il n'échappe à personne que, tel Gerald Ford chaque fois qu'il descendait d'avion en mâchant son chewing-gum, il a pris un billet de parterre. Quant à l'expression battre le pavé, pour peu que, par extraordinaire, on en eût oublié le sens (« marcher de long en large par désœuvrement »), il n'était que de voir faire les malheureux assesseurs par un jour d'élections cantonales récentes pour qu'il nous revînt instantanément.
Déjà plus intéressant est le tour bien connu tenir le haut du pavé. Non qu'il laisse planer le moindre doute sur sa signification, à savoir « occuper le premier rang ». Mais il n'est pas toujours inutile de rappeler qu'il a pour origine la forme concave des chaussées d'antan, destinée à faire s'écouler les eaux usées dans un caniveau central. Le meilleur moyen, dès lors, de ne pas se salir était de circuler au plus près des façades, sur le « haut du pavé » donc, que l'on abandonnait aux personnes de qualité. Les ruelles médiévales ont disparu, des trottoirs ont fait leur apparition, mais la langue, elle, n'oublie pas !
Beaucoup plus étrange, et d'ailleurs bien moins répandu, paraîtra à plus d'un le pavé de l'ours. C'est qu'il faut connaître, pour l'apprécier à sa juste valeur, une fable de La Fontaine, et qui ne fait pas partie, il s'en faut, des plus célèbres : L'Ours et l'amateur de jardins. Ces deux-là, au dire du fabuliste, auraient cru bon d'unir leurs solitudes. Jusqu'au jour où, pour chasser une mouche du nez de son compagnon endormi, le plantigrade se serait emparé d'un pavé pour le lancer sur l'insecte, défonçant du même coup le crâne de l'infortuné dormeur. On aura compris qu'il était là question de souligner que les intentions les plus pures peuvent avoir des conséquences tragiques !
Du moins la locution qui précède ne fait-elle pas débat. Ce n'est apparemment pas le cas de manger du pavé. Pour les uns, c'est « trimer », donc travailler dur ; pour d'autres — et quelquefois les mêmes ! —, c'est « chercher du travail sans en trouver », soit être au chômage ! Bref, c'est comme on le sent. Quant aux tire-au-flanc qui cherchent en priant Dieu de ne pas trouver, Alfred Delvau dirait d'eux, dans son Dictionnaire de la langue verte, et sans justifier le moins du monde cette expression des plus énigmatiques, qu'ils font la place pour les pavés à ressorts !
Les coureurs, cet après-midi, n'auront pas le loisir de se poser toutes ces questions. Ils se borneront à souhaiter, pour les plus humbles, que les cahots ne se transforment pas en chaos ; pour les plus ambitieux, que ce jour leur permette d'ajouter quelques lignes à la légende du cyclisme... et accessoirement à la leur !
Au risque de se retrouver un jour prochain, cruelle ironie du sort, dans un autre type de pavé...