À Pâques ou à la Trinité,
pourquoi diable fait-on l'œuf ?

< dimanche 24 avril 2011 >
Chronique

Il est peu d'expressions dont le sens soit aussi limpide et connu de tous. À moins que l'on n'ait chaussé les skis, « faire l'œuf », c'est faire le Jacques, l'andouille, l'idiot. Au point que l'on ne se demande plus même aujourd'hui quel crime a commis l'infortuné pour symboliser ainsi toute la bêtise du monde...

On conçoit sans peine, en effet, que l'on ait donné ce nom à la position que prend le skieur en quête de vitesse : genoux pliés, torse contre les cuisses, avant-bras collés audit torse, tout, dans l'attitude du descendeur, évoque alors la posture fœtale ! Mais dans la vie de tous les jours ? Qu'ont bien pu pondre nos étymologistes pour justifier pareille image ?

Si tous s'accordent pour faire remonter cette locution, finalement plus récente qu'on ne l'imagine, à la seconde moitié du XIXe siècle et pour rappeler qu'en argot l'œuf a toujours représenté l'imbécillité — ce qui ne fait que déplacer le problème —, l'unanimité est moins patente dès lors qu'il s'agit d'expliquer cette peu reluisante habitude. D'aucuns supposent que c'est le côté désespérément lisse de l'œuf qui évoque la face dépourvue de toute expression du niais. D'autres, poussant plus loin encore l'analogie de forme, veulent y voir la tête d'un clown, avec sa figure longue et son crâne chauve. On reconnaît bien là les à-peu-près de l'étymologie, laquelle, on le sait, répugne par nature à mettre... tous ses œufs dans le même panier !

Ce qui n'est pas douteux, en revanche, c'est qu'à l'inverse de l'anglais qui, d'une face ovoïde, tirerait plutôt la promesse d'un caractère débonnaire (un « good egg » est en tout cas un chic type), la nuance péjorative, en français, n'est jamais loin. Même quand, par un de ces retournements dont notre langue a le secret, le « crâne d'œuf » vient à désigner, non plus un sombre crétin, mais au contraire un clerc dont l'imposante calvitie laisse présager un Q.I. de gala : il s'agit alors de l'« intello », entendez du fort en thème perdu dans ses théories fumeuses... et totalement coupé de la réalité !

Cela dit, si l'œuf n'est pas blanc en français, il rit carrément jaune en chinois. Sur les trottoirs de Shanghai où il est de bon ton, si l'on ne veut pas se laisser marcher sur les pieds, d'avoir quelques coques en stock, l'œuf en question n'est ni plus ni moins qu'une insulte. Pour dénoncer votre stupidité, on laisse entendre là-bas que vous êtes « à peine sorti de l'œuf ». Quant à ceux qui « parlent œuf », ils disent tout bonnement des bêtises !

Cette chronique ne serait pas complète si elle ne précisait qu'à Montpellier règne un microclimat et que l'expression qui nous occupe aujourd'hui n'y a pas le même sens que partout ailleurs dans l'Hexagone. « L'œuf » est en effet le surnom que les autochtones ont donné à la célèbre place de la Comédie, en raison de sa forme initialement ovale, préservée et coulée dans le marbre (rose) lors de la réfection de 1963. Dès lors, « faire l'œuf » a longtemps signifié, dans la cité d'Auguste Comte, tourner inlassablement autour de ladite place avec le secret espoir d'y attirer le regard des belles...

Il reste que pour nous autres chtis, grands supporteurs des Dogues devant l'Éternel, c'est surtout dimanche dernier que les Montpelliérains ont fait l'œuf. En laissant Marseille prendre trois points sur leur stade fétiche de la Mosson !