Il n'y a pas qu'en politique
que le « ni-ni » embarrasse...

< dimanche 27 mars 2011 >
Chronique

L'usager de la langue n'a pas attendu la zizanie qui sévit actuellement dans les rangs de la majorité parlementaire pour s'apercevoir que le « ni-ni » pose quantité de problèmes. En général plus aisés à résoudre, heureusement, que celui qui occupe le microcosme depuis le début de la semaine !

Ponctuation d'abord. La règle a, pour l'essentiel, le mérite d'être claire : on ne recourt, sauf intention stylistique particulière, aux virgules qu'à partir du troisième ni : « Ni Fillon ni Juppé ne se sont empressés d'emboîter le pas au président de la République », mais « Dans ce canton, ni le Front de gauche, ni les Verts, ni l'UMP ne pourront se maintenir au second tour. »

Accord du verbe ensuite. La chose est déjà plus délicate car il s'agit d'établir si l'action exprimée par ledit verbe peut se rapporter aux deux sujets à la fois, ou à un seul d'entre eux. C'est ainsi que l'on écrira : « Ni Lyon ni Marseille ne remportera le championnat cette année. » Tout simplement parce qu'il ne peut y avoir qu'un vainqueur... et que chacun sait bien que ce sera Lille (cette dernière raison étant, nous le concédons volontiers, plus affective que grammaticale). En revanche, on serait fondé à écrire « Ni Lyon ni Marseille ne reviendront sur le leader lillois » puisque, s'il est exclu que ces équipes terminent conjointement sur la plus haute marche du podium, elles n'en peuvent pas moins s'en approcher l'une et l'autre.

Et si, nous direz-vous, les sujets ne sont pas de la même personne, à laquelle conviendra-t-il de mettre le verbe ? Là encore, les choses sont plutôt simples : la première personne l'emporte sur la deuxième, la deuxième sur la troisième. À supposer que chez ces gens-là on se tutoie (et c'est probable, au moins pour s'enguirlander), le Premier ministre pourrait fort bien dire à Nicolas Sarkozy : « Ni toi ni moi n'avons intérêt à perdre les cantonales. » La grammaire n'ayant que faire du protocole républicain, le moi du chef du gouvernement l'emporte là sur le toi du chef de l'État, et tant pis pour les préséances ! De la même façon, il n'est pas totalement exclu que ce dernier rétorque à son interlocuteur, histoire de le mettre dans le même sac que Jean-Louis Borloo : « Toi et lui commencez sérieusement à m'agacer ! » Mais vous faisiez ça d'instinct, sans même y réfléchir ? À la bonne heure !

Une petite dernière pour la route ? Faut-il écrire « Nous ferons en Libye ni plus ni moins que ce que prévoit la résolution des Nations unies » ou « Nous ne ferons en Libye ni plus ni moins que... » ? Les deux, mon général en retraite (ils sont nombreux à écumer les plateaux de télévision par les temps de frappes aériennes qui courent) ! La présence de la négation ne saurait constituer une faute, elle serait même plus conforme à la logique comme à la syntaxe de la phrase (« nous ne ferons pas plus et pas moins que »), mais c'est surtout, aujourd'hui, le sens positif qui est perçu (« nous ferons exactement comme on nous a dit de faire »), d'où l'abandon de plus en plus fréquent du « ne ». Le Petit Robert renvoie d'ailleurs dos à dos Claude Bernard (« L'admission d'un fait sans cause n'est ni plus ni moins que la négation de la science ») et Honoré de Balzac (« Nous sommes traités ni plus ni moins que des chiens »). Elle n'est pas indulgente, cette grammaire que l'on s'ingénie pourtant à présenter comme l'une des plus compliquées du monde civilisé ?

Plus indulgente que la politique, en tout cas, laquelle ne nous a toujours pas dit clairement ce qu'il fallait faire ce dimanche...