Les manifs des lycéens ?
une véritable école à ciel ouvert !
Que les boucliers se lèvent de tout côté dès que nos lycéens descendent dans la rue m'étonnera toujours : il me semble que chacun, dans le petit monde de l'Éducation nationale, devrait bien plutôt s'en féliciter.
Les parents d'élèves, au premier chef, qui ne cessent de déplorer que l'enseignement se dispense par trop en vase clos, souvent même au mépris des réalités de la « vraie vie ». Comment s'insurger, à partir de là, contre un mouvement qui rappelle à nos jeunes qu'avant d'espérer tenir le haut du pavé, il leur faudra d'abord le battre pour trouver un emploi ?
Le ministère, ensuite, qui, pour contenter les précédents, multiplie jusqu'à plus soif les stages de formation... au point que les employeurs, ravis de cette main-d'œuvre taillable et corvéable à merci, songent de moins en moins à embaucher et à rémunérer : peut-il vraiment, sans se déjuger, désavouer cette immersion enthousiaste et librement consentie dans le monde du travail ?
Le corps enseignant, enfin, lequel, au lieu de pleurnicher sur les heures perdues et le programme en souffrance, devrait se réjouir que ses ouailles, désespérément muettes quand elles s'accoudent à une table, se mettent à hurler d'importance aussitôt qu'elles se voient confier un porte-voix ; noircissent fébrilement pancartes et calicots, alors que pour les faire écrire, d'habitude, c'est la croix et la... banderole !
J'irai plus loin : pourquoi ne pas profiter de l'occasion — pardon, de l'opportunité ! — pour renouveler de fond en comble une pédagogie un brin vieillotte et démontrer, d'une façon qui pour une fois n'a plus rien de théorique, qu'orthographe et grammaire peuvent se révéler indispensables à une communication efficace ? Il suffirait que le professeur se fît nomade et, de défilé en défilé, portât la bonne parole aux intéressés...
À celui qui, en panne d'imagination, recycle le slogan destiné hier à Villepin, aujourd'hui réservé à Sarkozy (enfin quelque chose qui les rapproche !), « T'est foutu, la jeunesse est dans la rue », on aura tôt fait d'expliquer que « t'es » serait plus adapté à une deuxième personne du singulier. À cet autre qui, allez savoir où il est allé pêcher ça, exhibe un définitif « Casses-toi, pauvre con ! », on précisera que l'impératif des verbes du premier groupe se termine rarement par un « s ». Après lui avoir signifié, bien sûr, car la grammaire ne saurait faire oublier la morale, qu'il ne viendrait à l'idée de personne, dès lors que l'on est un tant soit peu soucieux de tenir son rang, de s'exprimer de la sorte ! À cet autre encore qui a griffonné sur son panneau « Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère, de cette société-là on en veut pas », on soulignera pêle-mêle les vertus de la négation et les effets désastreux du pléonasme. Au malheureux qui arborera un « Cotisez quarante ans, mourrez un peu plus tard », on rappellera, sur un ton impératif, que ce n'est pas parce que l'avenir est bouché qu'il faut voir le futur partout. Enfin, au poète en herbe qui a tracé « Si la m... valait le prix de l'or, les pauvres naiteraient sans trou du cul », il serait séant d'indiquer que, tout bien pesé, le petit livre rouge de Bescherelle se démode beaucoup moins vite que celui de Mao.
Et l'on voudrait se priver d'une école buissonnière aussi féconde, aussi fructueuse que celle-là ? D'une pédagogie aussi révolutionnaire, dans tous les sens du terme ?