Dis-moi ce que tu gagnes,
je te dirai qui tu es !
Haro, cette semaine, sur les « dépassements d'honoraires » intempestifs ! Curieuse formule en vérité, impensable même à l'origine puisque le donum honorarium fut d'abord le geste spontané par lequel le client gratifiait le professionnel qui l'avait assisté, celui-ci ne pouvant exciper d'une action en justice pour recouvrer ce qui lui était dû. Aucun risque, partant, que ledit geste fît, à l'époque, dans l'excès de générosité !
Depuis lors, et la Sécurité sociale ne sera pas la dernière à s'en plaindre, les choses ont hélas bien changé : cette « rétribution honorable », devenue chasse gardée des professions libérales, n'est plus laissée à la discrétion du patient, mais dépend en partie du bon vouloir du praticien. C'est que, charité bien ordonnée commençant par soi-même, la rémunération est aujourd'hui chose trop importante pour qu'on la laisse fixer par des mains inexpertes, voire radines ! Est-il d'ailleurs, au sein de notre lexique, réalité qui soit désignée par autant de mots divers, selon le domaine dans lequel elle a cours ?
Pour l'ouvrier c'est, on le sait, le salaire. Souvenir du temps lointain où l'on donnait aux militaires de quoi acheter leur ration de sel (en latin, sal). Ces derniers, las sans doute de veiller au grain, feront pourtant rapidement bande à part en touchant, plus spécifiquement, leur solde. Celle-là même dont on peut faire un féminin sans s'attirer les foudres des puristes, quand les commerçants consentent leurs traditionnels rabais. Le mot, qui a du reste donné son nom au soldat, vient lui aussi du latin, cette fois par le truchement de l'adjectif solidus. Chacun comprendra aisément pourquoi, quand bien même, au prix d'un de ces revirements dont notre langue a le secret, nous aurions plutôt tendance, de nos jours, à voir là du... liquide !
Pour le comédien, on parle de cachet. Non que, rassurez-vous, il soit ici question de mettre sous aspirine ces infortunés trop souvent condamnés, par la rigueur des temps, à n'être que des « intermittents du spectacle » ! Mais parce qu'au XVIIIe siècle les prestations professionnelles se marquaient fréquemment à l'aide d'un tampon sur une carte. De là la propension des intéressés à « courir le cachet », au propre comme au figuré...
Est-ce parce que la rétribution d'un fonctionnaire fait périodiquement l'objet d'âpres négociations entre l'État et ceux qui le servent qu'on lui a donné, et ce depuis plus de quatre cents ans, le nom de traitement ? Il n'est pas douteux en tout cas que ce dernier ne soit voisin, par l'étymologie, de la tractation, évocatrice de marchandages en tout genre.
Autrement poétiques, quelque peu enfarinés même, apparaissent les émoluments, réservés en principe à l'officier ministériel, mais que l'on a souvent étendus, à la suite de Balzac, à l'ensemble des fonctionnaires. Ne s'agissait-il pas primitivement de ce que l'on versait... au meunier pour qu'il moule le grain ?
Il faudrait encore citer les gages du domestique (qui ne se souvient, chez Molière, des jérémiades de Sganarelle, à la mort de son maître Dom Juan ?) ; les appointements de l'employé, lesquels consistent à le régler selon ce qui avait été préalablement convenu, mis au... point entre les deux parties ; la guelte du courtier, qui devait beaucoup à l'allemand Geld, « argent ».
Sans oublier évidemment, quand elle ne concernerait qu'un seul homme, la liste civile que perçoit annuellement Nicolas Sarkozy au titre de président de la République française. Cette étonnante appellation, qui fleure bon l'euphémisme, n'aurait pourtant rien — horresco referens ! — de républicain, ni même de français : elle aurait été calquée sur l'anglais civil list, du nom de la somme que se vit allouer chaque année le roi d'Angleterre à partir de la révolution de 1688, en tant qu'elle comportait une liste d'offices civils à rémunérer. Dotation suffisamment rondelette, est-il besoin de le préciser, pour que, de ce côté-ci comme de l'autre du Channel, l'on se voie dispensé de faire la manche, avec ou sans majuscule !
Il n'aura en tout cas échappé à personne que, chaque fois qu'il s'agit de se payer de mots, notre langue est des plus riches...