Larousse ou Robert :
à quel saint se vouer ?

< dimanche 1er novembre 2009 >
Chronique

Pouvait-on rêver jour plus approprié que ce dimanche de la Toussaint pour fêter les canonisés qui peuplent notre lexique ? C'est que ces professionnels de la générosité sont plus d'un à avoir fait don de leur nom, et pas vraiment au hasard, comme vous l'allez voir...

Serait-ce là façon de rappeler que, pour gagner ses galons de bienheureux, il faut d'abord se montrer bonne pâte ? Toujours est-il qu'au palmarès de la sainteté les fromages se taillent la part du lion. On n'en dénombre pas moins de cinq au sein de nos dictionnaires usuels : le sainte-maure, le saint-florentin, le saint-marcellin, le saint-nectaire et le saint-paulin ! Pas mal pour des ascètes dont on s'attendrait plutôt qu'ils eussent tiré un trait sur les misérables douceurs de la vie d'ici-bas... D'autant que les suivent de près, en guise de point d'orgue aux agapes, un gâteau (le saint-honoré du patron des boulangers) et quelques crus des plus gouleyants, tels le saint-amour et le saint-émilion ! On se féliciterait presque que, pour faire diversion, le saint-bernard apportât à ce tableau rabelaisien une touche d'abnégation et de dévouement, mais les persifleurs auront beau jeu d'observer que, là encore, le tonnelet n'est pas bien loin.

Cela dit, que l'on se rassure : s'il n'est que trop vrai que nos saints ne sont pas toujours de glace, notre propos n'est pas d'en faire des saintes(-)nitouches, plus portées que ne le laisserait croire leur statut à se repaître de nourritures terrestres. Plus digne de cette chronique de langue, la remarque qu'un flou pour le moins artistique préside au pluriel des intéressés. Histoire de se racheter à nos yeux, ces élus de Dieu auraient-ils voulu nous donner, à tout le moins, l'exemple de la modération et de la tempérance ? nous envoyer un message subliminal du genre « Un saint-amour, ça va ! Plusieurs, bonjour les dégâts... » ?

Chez Larousse, en effet, tout ce beau monde est invariable : l'éternité que les saints ont durement acquise n'est-elle pas, par définition, immuable ? Plus sérieusement, le Grand Dictionnaire des difficultés et pièges du français nous en donne la raison : ces noms composés formés avec saint sont en réalité issus de noms de lieux, lesquels ne sauraient décemment recevoir la marque du pluriel.

Ce qui n'empêche nullement le concurrent de toujours, nous avons nommé le Petit Robert, de se montrer coulant pour ceux qui voudraient traiter ces mots-là, fromages ou pas, comme des noms communs ordinaires. Si l'on s'en remet à lui, on écrira obligatoirement, au contraire, que les saint-marcellins gagnent à être arrosés de plusieurs saint-émilions et tant pis si, pour vous raccompagner chez vous, il ne vous faut pas moins, ensuite, de deux saint-bernards !

Quant au petit dernier de Robert, le Dixel, qu'auréole sa récente percée sur le front de la lexicographie, il ne sait à quel saint se vouer : s'il s'aligne le plus souvent sur son aîné en consacrant par exemple saint-nectaires et saint-paulins, il oublie (?) de se prononcer pour sainte-maure et saint-émilion. Pis, en nouveau Salomon il partage le gâteau, renvoyant dos à dos saint-honoré et saint-honorés !

Les rares cas où nos frères ennemis ne fassent pas parler la poudre sont, paradoxalement, la sainte-barbe, qui s'écrit toujours saintes-barbes au pluriel, et la saint-jacques, que son « s » final met providentiellement à l'abri de toute coquille. Mais il est à craindre que, pour le reste, l'harmonisation tant attendue soit repoussée... à la saint-glinglin !