« Divers et variés » :
point trop n'en faut !
Le phénomène n'a, pour l'heure, aucune commune mesure avec les « C'est vrai que... », « C'est pas évident... » ou « Il n'y a pas de souci ! » que nous brocardons de loin en loin dans ces colonnes. Mais la mayonnaise est visiblement en train de prendre : nos conversations s'ornent de plus en plus souvent de projets, de propos, de mouvements « divers et variés ». Est-il encore temps d'endiguer l'épidémie ? Ou, comme pour le H1N1, serait-il déjà trop tard ?
C'est que l'expression, pour peu que l'on y réfléchisse un tantinet, semble bien boxer dans la catégorie des pléonasmes de gala. Et ce n'est pas le tout nouveau Dixel qui nous contredira ! Qu'on l'emploie au singulier (« qui présente plusieurs aspects ») ou au pluriel (il se dit alors de choses « qui présentent des différences intrinsèques et qualitatives »), divers y reçoit pour synonyme... « varié » ! Quant à ce dernier, il ne sera pas dit qu'il aura rechigné à renvoyer l'ascenseur : au singulier, il est traité comme un équivalent de divers ; au pluriel, il s'applique à des éléments nettement distincts, qui... « donnent une impression de diversité » ! Qui pourrait encore douter, après cela, que divers et varié, ce soit chou vert et vert chou ?
Peut-on, à tout le moins, plaider l'humour ? La redondance consciente d'elle-même et pleinement assumée ? Le clin d'œil entendu ? Cette forme de complicité qui, à l'occasion, porte des interlocuteurs au sommet de leur art oratoire à enfreindre délibérément les règles pour mieux montrer qu'ils les connaissent ? N'est-ce pas, tout bien pesé, dans ce dessein que nombre de nos contemporains usent aujourd'hui du non moins pléonastique « incessamment sous peu » ? La locution, irrecevable en droit, a en tout cas gagné ses galons sur le terrain, autrement permissif, de l'ironie ! Et que dire de la jouissive tournure que l'on doit aux efforts conjugués de Richard Virenque et des Guignols de l'info : « à l'insu de mon plein gré » ? N'est-elle pas devenue culte, au point qu'y recourent désormais ceux qui sont le plus à même d'en sentir l'incorrection profonde ?
Sans vouloir aller jusque-là, sied-il d'invoquer — ce que, soit dit en passant, ne font que trop volontiers les écrivains quand, victimes de leur inattention ou de leur négligence, ils sont pris en faute — le renforcement expressif ? On applaudit bien... des deux mains ! On affirme bien « l'avoir vu de ses yeux » ! On se dit bien « contraint et forcé » ! Au nom de quoi devrait-on s'interdire ici, pour accentuer l'idée d'hétérogénéité, de dire les choses deux fois plutôt qu'une ?
Peut-être. Nous croira-t-on seulement si nous affirmons que nous aimerions qu'il en fût ainsi ? Nous avons toujours été de ceux qui pensent que, pour sauver la langue, il importe d'abord de jouer avec elle. Que les règles sont faites pour être interprétées, contournées, quelquefois même détournées. Que cette petite différence qui sépare la lettre de l'esprit, c'est justement ce que l'on appelle le style.
Las ! il est à craindre cette fois encore que la rapidité avec laquelle ce tour se répand actuellement doive plus au psittacisme ambiant qu'à la volonté, louable, de sortir de sentiers par trop battus ; à l'instinct grégaire des moutons de Panurge qu'à la décision, mûrement réfléchie, du chef de troupeau ; bref, au tic qu'à l'effet. Aussi suffira-t-il amplement à notre bonheur que les réactions à cet article soient « nombreuses et diverses », ou encore « nombreuses et variées » !