Du bon usage de l'antiphrase
au sommet de l'État
Pas facile de recoller les pots que d'autres ont cassés ! On se souvient de la bravoure avec laquelle Jack Lang avait tenté de justifier la « bravitude » de Ségolène en la présentant — la bravitude, pas Ségolène ! — comme une probable réminiscence de Lara Croft. Dimanche dernier, c'est Bernard Kouchner qui a dégainé sa trousse de secours après les propos peu amènes que Nicolas Sarkozy était censé avoir tenus sur le chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero.
Que le chef de la diplomatie française soit, pour la circonstance, monté le premier au créneau n'a rien de surprenant : lesdits pots cassés, c'est lui qui risquait de les payer demain et après-demain, lors de la visite officielle en Espagne ! Charité bien ordonnée... Et puis, Bernard Kouchner est de toute évidence l'homme de la situation : quand on a pu écrire un jour que l'anglais représentait l'avenir de la francophonie, on est à même de démontrer tout et son contraire !
Reconnaissons au demeurant que sa plaidoirie, devant les caméras de Canal +, se sera révélée efficace : invoquer l'antiphrase, voilà qui, convenons-en, vole un peu plus haut que les démentis, lesquels convainquent moins qu'ils n'entretiennent le doute. L'antiphrase, vous savez ? Cette façon — très française, soit dit en passant — d'énoncer le contraire de ce que l'on pense réellement... Qui ne se souvient de cette page où Montesquieu faisait mine de légitimer l'esclavage des nègres alors même que, par le truchement d'arguments spécieux, il entendait en démontrer le caractère profondément scandaleux ? Mais point n'est besoin de références aussi littéraires, notre quotidien regorge d'antiphrases. C'est la mère excédée de constater que son rejeton a préféré s'essuyer les pieds sur la moquette plutôt que sur le paillasson qui lui donne du « C'est du propre ! ». C'est le maître qui, sous le zéro pointé dont il vient de gratifier la copie de son élève, enfonce le clou d'un « Bravo, continuez ! ».
C'est, nous a expliqué notre French doctor, le président de la République qui, en concédant ironiquement à d'éventuels contradicteurs que Zapatero « n'était peut-être pas très intelligent », voulait en réalité signifier qu'il devait l'être un peu quand même, pour s'être fait réélire et avoir décidé, tout comme lui, de débarrasser la télévision publique de ses plages publicitaires !
Imparable. Difficile à contester, en tout cas, sans verser dans le procès d'intention. Ce qui est sûr, c'est que la thèse du ministre des Affaires étrangères eût été plus crédible encore si l'Élysée n'avait pas d'abord jugé opportun de nier les propos en question : à quoi bon, en effet, expliquer aussi laborieusement ce qui n'a jamais été dit ? Si, lors de la même réunion, Merkel, Barroso et Obama n'en avaient pas, de leur côté, et dans des termes peu suspects d'antiphrase, pris pour leur grade. Par-dessus tout, il conviendrait de se souvenir que le second degré est toujours un pari sur la finesse de l'auditoire. Le rejeton dont nous parlions plus haut n'est sensible à l'ironie maternelle que parce que, dans le même temps, une main ferme s'abat sur sa Pampers. Il s'en faut en revanche que le non-violent Montesquieu ait été compris de tout le monde. Il eût été étonnant que Nicolas Sarkozy le fût, surtout si l'on accorde foi aux jugements, plus directs que flatteurs, que selon la rumeur publique le chef de l'État a coutume de porter sur son entourage, parlementaires et ministres y compris. Mais peut-être que là encore il s'agit d'antiphrase ?