L'arroseur se verra-t-il arroser ?

< dimanche 12 avril 2009 >
Chronique

C'est la question que se seraient posée certains habitués de cette chronique après avoir lu, dans notre dernière livraison, que Nicolas Sarkozy ne se voyait plus seulement « attaquer sur le fond de sa politique, mais aussi sur sa forme ».

Puisqu'il est évident qu'ici le président de la République n'est pas l'auteur mais la cible des attaques, le participe passé attaqué, que l'on sent plus proche du passif, n'eût-il pas mieux fait l'affaire ? Quand on comprendrait que l'on utilisât l'infinitif pour traduire une action, comme c'est le cas dans la phrase « L'espace d'un instant, elle s'est vue mourir », ne constituait-il pas ici une faute franche, l'action n'étant pas accomplie par le sujet mais subie par lui ?

Eh bien ! non. Au risque de décevoir tous ceux qui se languissent de voir un jour l'arroseur arrosé — ce qui ne manquera pas de se produire tôt ou tard, l'erreur, comme chacun sait, étant humaine —, nous n'avons pas failli sur ce coup-là. Il valait mieux, du reste, car c'est en vain que nous aurions imploré l'indulgence du jury, après un article des plus sévères pour l'ensemble de notre classe politique !

Que dit en effet la grammaire ? qu'après le semi-auxiliaire se voir, on emploie indifféremment l'infinitif ou le participe passé. C'est ainsi que l'arroseur peut se voir arroser (en petit-nègre, « il voit arroser lui », et le pronom se est alors complément d'objet direct de l'infinitif) ou arrosé (« il voit lui arrosé », ce qui fait, cette fois, du pronom se un c.o.d. du verbe voir et du participe un attribut de ce c.o.d.). Indifféremment ? Voire ! Il nous a toujours semblé, à nous, que dans le premier de ces cas l'accent est mis sur le déroulement de l'action, dans le second sur le résultat de celle-ci. Quand les cow-boys se voient encercler par les Indiens, le mouvement est en cours, et le piège ne s'est pas totalement refermé. Mais s'ils se voient encerclés, il ne leur reste plus qu'à se donner un coup de peigne pour soigner leur scalp, car il est déjà trop tard. Si, pour en revenir à notre dernier article, nous avons préféré attaquer à attaqué, c'est que rien n'indiquait, à l'heure où nous écrivions, que la fronde contre le chef de l'État eût pris fin !

Cela dit, il aurait suffi à tous ceux qui, à tort, se sont inquiétés de remplacer attaquer par un verbe du deuxième ou du troisième groupe, qui permît de mieux distinguer le participe passé de l'infinitif, pour s'apercevoir que ce dernier, loin d'écorcher l'oreille, est même celui dont on use le plus spontanément. Le plus cher désir d'Yvan Colonna n'était-il pas de se voir blanchir par la justice ? Trop souvent à son goût, l'homme politique ne se voit-il pas interrompre par le journaliste qui l'interroge ? N'est-il jamais arrivé au meilleur des gardiens de but de se voir surprendre par un tir tendu ? Dans chacune de ces situations, pourtant, il n'est que trop clair que ce n'est pas le sujet qui accomplit l'action : c'est bien le malheureux gardien de but qui est surpris, l'homme politique qui est interrompu... et Colonna qui, pour l'heure, n'est toujours pas blanchi ! De même, dira-t-on plus volontiers du soldat que l'on envoie en Afghanistan qu'il craint de se voir descendre ou descendu lors d'une de ses missions de pacification ? Encore une fois, les deux solutions sont grammaticalement possibles mais l'on nous accordera que, pour peu que l'on donne à voir son sens premier, l'intéressé, à moins que ne soit fondée cette légende qui veut que l'âme flotte au-dessus du cadavre, aurait quelque difficulté à se voir... une fois descendu !