Blog, blogue ou bloc :
du bon usage de la francisation
Qui l'eût cru, qu'un jour le gratte-papier plutôt vieille France que nous sommes ouvrirait un « blog » sur votre site fétiche lavoixdunord.fr ? Avec, d'entrée de jeu, un zeste de mauvaise conscience : fallait-il user, pour notre en-tête, de cet anglicisme décrié ?
Un défenseur patenté de la langue française n'aurait-il pas dû lui préférer les plus présentables bloc ou bloc-notes, que préconise du reste le Journal officiel ? Ou, à tout le moins, opter pour la graphie blogue, prônée par nos cousins du Québec et désormais recensée, à titre de variante, par Larousse comme par Robert ?
Éternel dilemme de celui qui, chargé de dire la norme, vit en permanence habité de deux peurs : la première, qu'on le prenne en flagrant délit de laxisme (car en l'espèce, croyez-en notre déjà longue expérience, on trouve toujours plus royaliste que le roi !) ; la seconde, de verser dans un purisme échevelé, et par là même inefficace. Pour tout dire, nous ne nous voyions pas ici, bizut notoire au pays de la blogosphère, débarquer notre bloc-notes à la main. Voilà qui, n'en doutons pas, aurait moins culpabilisé qu'agacé nos petits camarades journalistes, auprès desquels notre réputation d'empêcheur d'écrire en rond n'est plus à faire. Plus grave encore, quel effet cela eût-il produit sur des internautes qui, par définition soucieux de vivre avec leur temps, ne considèrent plus, depuis belle lurette, l'anglais comme une langue étrangère ? Pour obtenir beaucoup, il faut quelquefois savoir céder un peu. D'ailleurs, ce bloc que tente d'imposer la commission de néologie et de terminologie n'a pour lui que son antériorité : le mot, qui signifiait à l'origine « tronc abattu », doit tout au... néerlandais. Pour ce qui est du français de vieille souche (si l'on ose dire), on repassera ! De surcroît, la commission susnommée reste désespérément muette sur le chapitre des dérivés. À quoi sert de trouver une doublure à blog si l'on n'en est pas moins condamné à utiliser bloguer et blogueur ? À l'évidence, « bloquer » et « bloqueur » sont inenvisageables. Recourons-y, et c'est à bon droit que l'on nous accusera d'avoir complètement... débloqué !
Mais alors, nous opposera-t-on avec un apparent bon sens, pourquoi n'avoir pas pris fait et cause pour la graphie blogue, laquelle, en matière de dérivés, ne souffre pas des lacunes susdites ? Reconnaissons que la terminaison -ogue est autrement représentée dans notre lexique (catalogue, dialogue, psychologue, et nous en passons une centaine) que sa rivale -og, qui n'a quasiment, pour se réchauffer le cœur et le reste, que le grog. Mais ce replâtrage-là, cautère sur une jambe de bois, nous semble cacher la misère plus qu'il ne la combat. À un terme qui avait son histoire, fût-elle étrangère (blog, issu de weblog, est un mot-valise), il substitue une forme artificielle qui masque nos manques mais ne les gomme pas. Il convient de se méfier de ces créations a posteriori (et parfois à la va-vite) qui ne sont pas toujours exemptes de dommages collatéraux : c'est ainsi que la forme supporteur, censée tailler des croupières à l'anglais supporter, n'a pas peu contribué à légitimer l'emploi du verbe supporter au sens contesté de « soutenir ». Le remède s'est révélé pire que le mal.
Au demeurant, l'essentiel n'est pas là. Ce contre quoi il faut lutter, ce n'est pas l'emprunt occasionnel, notre langue s'en est toujours nourrie ; mais plutôt l'abandon pur et simple de cette dernière. C'est sur ce terrain-là qu'il importe de rester gonflé... à bloc !