Féminisation des fonctions :
« Bonne maire ! »

< dimanche 15 juin 2008 >
Chronique

D'aucuns trouveront sans doute saugrenu que l'on s'intéresse aux maires... le jour de la fête des Pères ! C'est qu'il y a urgence à préciser notre position sur une question qui empoisonne la langue française depuis maintenant plus de dix ans.

Tout est parti, on s'en souvient, de la volonté affichée en 1998 par ces dames du gouvernement Jospin de se faire désormais appeler « Madame la ministre », histoire de marquer d'une pierre blanche l'accès de la gent féminine aux plus hautes responsabilités de l'État. Nous nous étions alors montré partagé sur le sujet, comme sur la polémique qui s'ensuivit. D'abord parce que nous n'aimons guère que la langue subisse les contrecoups d'une idéologie, d'où qu'elle vienne, et ce même s'il est difficile de contester que notre grammaire, conçue par des hommes pour des hommes, reste le reflet d'une société machiste. Ensuite et surtout parce que le remède préconisé, à savoir la féminisation tous azimuts des noms de fonctions, nous semblait aller à l'encontre des intérêts desdites représentantes du beau sexe : nous n'avions pas manqué d'observer que Martine Aubry aurait eu avantage, à l'époque, à demeurer « le » meilleur ministre du gouvernement, car alors sa supériorité supposée se serait étendue à ses homologues mâles, ce qui ne saurait être le cas de « la » meilleure ministre ! « L'Académie, prédisions-nous, a grammaticalement raison... mais il est à craindre que l'usage, à terme, ne lui donne tort ! Car si la féminisation, en soi, ne nous empêche pas de dormir, l'anarchie qui en résulte déjà, dès lors que le problème se pose pour un terme à finale moins consensuelle, est autrement inquiétante. » Dix ans plus tard, nous y voilà.

Si à notre connaissance, en effet, la même Martine Aubry ne s'est jamais offusquée qu'on fît d'elle « la maire de Lille » (cela lui serait difficile puisqu'elle fut au nombre des apprentis sorciers), Natacha Bouchart, élue il y a peu à Calais, préfère, pour sa part, qu'on lui donne du « Madame le maire ». Vérité en deçà de la Deûle, erreur au-delà ! Différend d'ordre politique ? Ce n'est pas à exclure, la dernière nommée étant issue des rangs de l'UMP. Mais l'inélégance de la formule, qui doit beaucoup à l'homonymie de mère, a aussi de quoi rebuter.

C'est que la mère Michel est passée par là. Et, plus tard, qui lui a piqué la... Vedette, la mère Denis ! Comment oublier que mère a longtemps été — et reste — une appellation familière dont on use à l'égard d'une femme d'un certain âge ? Il y a là, convenons-en, de quoi tempérer les ardeurs des plus féministes... Et, de fait, les résistances sont vives. Plus d'un ouvrage de référence récent prône encore « Madame le maire », à l'instar du Grand Dictionnaire Larousse des difficultés et pièges du français, lequel semble ignorer que le vaisseau amiral de la maison, nous voulons parler du Petit Larousse, fait dorénavant de maire un nom des deux genres ! C'est aussi le cas du Petit Robert, pour qui maire n'est plus masculin au sens moderne du terme. Ce qui ne l'empêche nullement de continuer à préférer « Madame le maire » à « Madame la maire », tour jugé « plus rare ». Bonjour, la cohérence !

Il faut pourtant savoir ce que l'on veut. Puisque les dictionnaires ont décidé que le mot n'était plus masculin, le féminin s'impose chaque fois que la fonction est assumée par une femme. On peut le déplorer (c'est notre cas, et nous nous en expliquons plus haut), mais nos états d'âme importent moins que la logique de la langue... Ce que femme a voulu hier, le dieu de la grammaire, aujourd'hui, le veut !