Quand les cigognes
sont priées de repasser...
« Alors, tu accouches ? » À en croire les gazettes, cette exhortation teintée d'impatience n'a pas dû faire recette chez nos voisins allemands, à l'époque de la Saint-Sylvestre. Tout a été entrepris, au contraire, pour différer un tantinet les heureux événements : afin d'encourager une natalité des plus poussives, le gouvernement fédéral n'avait-il pas promis de multiplier par trois l'indemnité de congé parental... pour tout enfant né après le 31 décembre à minuit ? Voilà qui, on s'en doute, aura incité nombre de géniteurs à ruser avec la nature, qui recourant à tel médicament censé retarder les contractions, qui trichant allègrement sur l'heure exacte de la naissance ! Mais on se montrera plein d'indulgence envers ces petits futés qui songent à se remplir les poches avant que de vider celle des eaux. Ne nous permettent-ils pas, bien malgré eux, de souligner une nouvelle fois que notre langue, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres hélas, perd lentement mais sûrement de sa légendaire précision ? Naguère, par exemple, il ne serait venu à l'idée d'aucun lexicographe de proposer un exemple tel que Elle n'a pas encore engendré d'enfant. C'est ce que fait désormais le Grand Robert, au mépris de l'étymologie : le latin ingenerare, « faire naître dans », dit assez que ce verbe est en principe l'apanage du mâle ! De plus en plus, pourtant, on en fait un synonyme de l'œcuménique procréer. Mais que les adeptes de la parité, toujours prompts à se réjouir que les privilèges de la gent masculine soient battus en brèche, ne pavoisent pas trop vite : il semble que la même mésaventure ait été réservée au verbe concevoir, jusque-là exclusivité du beau sexe. L'origine du mot (le verbe latin concipere, « recevoir ») ne souffre aucune équivoque, là non plus : il s'agissait bien, comme l'écrit cette fois avec bonheur le Petit Robert, de « former un enfant dans son utérus, par la conjonction d'un ovule et d'un spermatozoïde », autrement dit de devenir enceinte. Partant, on se demande pour quelle impérieuse raison, autre que la négligence, on en est arrivé à cette extension asexuée qui peuple aujourd'hui la plupart des produits Larousse : « former un enfant par le rapprochement sexuel, en parlant d'un couple ». Mais peut-être faut-il voir dans ces différents glissements de sens propension plus ou moins consciente à glorifier le travail d'équipe, au sein d'une société jugée trop encline à l'individualisme ?