« Moins on conduit mal, plus on paie moins cher »
Quand la pub parle petit-nègre...
C'est Boileau qui en ferait une tête, s'il lui prenait soudain l'envie de troquer son éternel repos contre une balade dans nos artères animées du vingt et unième siècle ! Lui qui a voué sa vie à énoncer clairement ce qui se concevait bien, quelle autre réaction pourrait-il avoir devant ce slogan de la GMF qui proclame, non sans... assurance et à grand renfort de placards publicitaires, que « moins on conduit mal, plus on paie moins cher » ? Est-ce à dire que « moins on parle bien, plus on vend mieux » ? Au demeurant, que les choses soient claires : il ne saurait être ici question de brandir l'anathème, encore moins de dénier à qui que ce soit le droit de jouer avec la langue. Les codes sont faits pour être transgressés. Nous irions même jusqu'à reconnaître, en plagiant Alexandre Dumas, qu'il est légitime de violer la grammaire, dès lors qu'on lui fait un enfant. Il en va après tout de la liberté de création. Se récrie-t-on devant les hardiesses d'un Queneau ? La syntaxe peu orthodoxe d'un Céline ? Qui n'a fondu en entendant le Petit-Gibus de la Guerre des boutons répéter son fameux « Si j'aurais su, j'aurais pas venu... » ? De telles entorses à la règle font honneur à la règle. Mieux : elles créent une connivence, elles sont autant de clins d'œil lancés à un public averti. Encore faut-il qu'averti, le public le soit toujours ! Si nous n'entendons pas marchander à la publicité sa dimension créatrice ; si nous ne sommes pas loin de partager le propos dithyrambique d'un Cendrars qui l'élève au rang d'un art (voir nos colonnes de droite), oubliant dans son enthousiasme que tout art se doit d'être désintéressé, il n'en reste pas moins vrai que ladite pub s'impose à tous, y compris aux non-initiés. Quand un parfum est baptisé Hypnôse, seuls ceux qui n'hésitent jamais sur l'orthographe du mot sont à même de comprendre que cet accent circonflexe est une allusion à celui de la maison mère, Lancôme. Les autres, comme hier pour Poême, ne la relèvent pas et en sont réduits à penser que telle est bien l'orthographe du mot. On souhaite ainsi bien du bonheur au professeur des écoles qui devra expliquer à ses élèves que la tournure de la GMF n'est pas précisément de celles qu'il entend retrouver dans leurs rédactions ! Mais de tout cela, un publicitaire digne de ce nom n'a cure. L'essentiel n'est-il pas à ses yeux de faire parler, coûte que coûte, du produit ? Et, d'une certaine façon, ne venons-nous pas, en traçant ces lignes, de tomber nous-même dans le... panneau ?